Réforme des retraites - Philippe Laurent : "La spécificité de la fonction publique territoriale est insuffisamment prise en compte"
Dans une interview à Localtis, Philippe Laurent, président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT) et initiateur de la Coordination des employeurs publics territoriaux, appelle le gouvernement à mieux tenir compte des spécificités des emplois territoriaux dans son projet de réforme des retraites. Il formule ce vœu au moment où, dans le cadre de cette réforme, le secrétaire d'Etat en charge de la fonction publique doit lancer ce 8 janvier une concertation sur la pénibilité et la gestion des fins de carrière.
Localtis - Quel regard portez-vous sur le projet de réforme des retraites ?
Philippe Laurent - Ce qui a été présenté nécessite de nombreuses précisions. Comme leurs employeurs, les fonctionnaires territoriaux souhaitent connaître le détail des calculs concernant le passage des actuels aux futurs taux de cotisations, tant employeur que salarié. Une question se pose également sur la situation et le rôle de la CNRACL [Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales] dans la gouvernance du futur régime universel, sachant que le nombre des retraités de la fonction publique territoriale devrait augmenter de 3,1% par an jusqu’en 2030. On peut, de plus, s'interroger sur le devenir de l’Erafp [Établissement de retraite additionnelle de la fonction publique] et de ses réserves, actuellement gérées paritairement par les organisations syndicales et les employeurs publics. L'absence de réponses sur ces différents points, et sur d'autres, est logiquement source d’une grande inquiétude chez les agents. D'autant que la réforme envisagée ne prend pas suffisamment en compte la spécificité de la fonction publique territoriale. Comme souvent, le gouvernement a considéré que la fonction publique est un tout. La situation des personnels territoriaux n'est pourtant pas la même que celle des agents des ministères, par exemple.
A quelles particularités vous référez-vous ?
Plus de 75% des agents qui composent la fonction publique territoriale appartiennent à la catégorie C et, de ce fait, ont des salaires modestes, des carrières lentes, et souvent aucun régime indemnitaire (ou un montant de primes très faible). Si l'on n'en tient pas compte, ces agents verront leurs pensions baisser lorsque leur retraite sera liquidée sur la base de l'ensemble de la carrière, et non des six derniers mois. Ensuite, la question de la pénibilité se pose de manière très aiguë dans la fonction publique territoriale, comme d’ailleurs dans la fonction publique hospitalière. Une récente étude de la Dares explicite clairement la pénibilité particulière des métiers liés à l’entretien des routes, à l’assainissement et à d’autres activités techniques ou sociales, comme l’entretien des locaux, les soins aux personnes âgées dépendantes, l’animation ou l’accueil de la petite enfance.
L'extension à la fonction publique du compte professionnel de prévention (C2P), en vigueur dans le privé, vous paraît-elle être une solution satisfaisante ?
Là encore, les choses ne sont pas assez claires : il serait souhaitable de préciser le périmètre choisi et les agents concernés par l’extinction progressive de la catégorie active et son remplacement par le compte professionnel de prévention. Concernant ce dispositif, je considère qu'il n'est pas suffisant pour le moment, car les critères qui y ouvrent droit ignorent totalement les risques psychosociaux. Or, les agents territoriaux, notamment ceux qui sont en contact permanent avec le public, connaissent une recrudescence de ce phénomène. En parallèle, d'autres réponses pourraient être développées, comme la retraite progressive - mais en sachant que beaucoup d'agents territoriaux perçoivent de faibles salaires - et les dispositifs favorisant les reconversions (entretien de mi-carrière, etc.). En tout cas, il est essentiel de répondre à cette question de la pénibilité. Sinon, les employeurs seront confrontés à de plus en plus d'agents en situation de maladie professionnelle.
En tenant compte des multiples particularités, le gouvernement ne risquerait-il pas de manquer l'objectif de lisibilité et de simplification qu'il s'est fixé ?
C'est évident. Mais, dire qu'"un euro cotisé donne lieu aux mêmes droits pour tous", cela revient à privilégier une égalité purement formelle, sans tenir compte de la réalité des métiers.
Les employeurs territoriaux ont-ils l'occasion de se faire entendre auprès du gouvernement ?
Pas une seule fois nous n'avons été associés de près ou de loin à la concertation menée depuis pourtant de longs mois, malgré nos demandes. Nous le déplorons : nous voulons enfin être considérés comme des employeurs à part entière et, à ce titre, être pleinement associés à la future gouvernance du système de retraite quel qu’il soit.