Le bras de fer sur les retraites éclipse la mise en oeuvre de la réforme de la fonction publique
Dès la rentrée de septembre, le gouvernement a engagé la concertation sur les projets de décrets d'application de la loi de transformation de la fonction publique parue au mois d'août. Ce chantier titanesque doit se poursuivre en 2020 avec, en ligne de mire, plusieurs projets d'ordonnances. Mais pour l'heure, c'est évidemment le projet de réforme des retraites qui cristallise les attentions.
Plutôt que de rester inflexible sur la réforme des retraites, en pariant sur l'usure du mouvement social, l'exécutif a fait le choix de négocier un compromis avec les syndicats. C'est en tout cas la ligne qu'a annoncée le Premier ministre, le 19 décembre à Matignon, à l'issue de deux jours de discussions avec les partenaires sociaux. Les discussions "ont permis des avancées concrètes", a assuré Édouard Philippe, en présence de la ministre des Solidarités, Agnès Buzyn, et du nouveau secrétaire d'État chargé des retraites, Laurent Pietraszewski. Sur la pénibilité et la gestion des fins de carrière notamment, "des avancées ont été actées", a indiqué le chef du gouvernement. Des chantiers "sont ouverts". Olivier Dussopt, le secrétaire d'État auprès du ministre de l'Action et de Comptes publics, lancera début janvier une concertation sur l'ouverture à la fonction publique du dispositif de retraite progressive. La "garantie des six derniers mois" – dont bénéficient aujourd'hui les fonctionnaires –, que le Premier ministre a qualifié d'"enjeu très fort", fera l'objet d'une "concertation spécifique".
Édouard Philippe a réaffirmé l'attachement du gouvernement à l'équilibre financier du système dès ses premières années de mise en œuvre et donc au relèvement à 64 ans de l'âge de départ à taux plein. Reconnaissant que l'on pourrait "davantage personnaliser les trajectoires de départ en retraite", il s'est dit ouvert à d'autres propositions. Mais en ajoutant que "les marges de manoeuvre" ne sont "pas immenses". "Des désaccords persistent", a reconnu par ailleurs l'hôte de Matignon. C'est d'ailleurs ce qu'a aussi acté la CGT Cheminots, qui a annoncé la poursuite de la grève à la SNCF.
Simulateur et "cas-types"
Mais les lignes bougent. Ces lignes, ce sont celles que le Premier ministre avait tracées le 11 décembre au Conseil économique, social et environnemental. Depuis, Matignon s'est employé à exposer de manière simple le plan de l'exécutif, notamment dans des documents pédagogiques (voir en particulier la fiche concernant les agents publics). Les Français peuvent ainsi y voir plus clair sur le projet de système universel de retraites. D'autant que, depuis ce 18 décembre, ils peuvent consulter également un simulateur "retraites". L'outil donne à chacun un petit aperçu des conséquences de la réforme sur son âge de départ à la retraite et les modalités de calcul de ses droits à pension. Enfin, le gouvernement a publié, ce 19 décembre, 36 "cas-types" (dont 26 correspondant à des fonctionnaires) présentant le montant de la pension brute d’individus fictifs, avec et sans mise en place du système universel. Une base de données appelée à s'étoffer, puisque le gouvernement annonce la mise en ligne de 150 situations types, le 22 janvier, date de la présentation du projet de loi de réforme en conseil des ministres.
Parmi les nouveautés envisagées, la prise en compte des primes aurait de lourdes répercussions sur les niveaux de pension des fonctionnaires. Les agents gratifiés par des primes élevées seraient évidemment avantagés par rapport à leurs collègues qui en ont de faibles, voire n'en ont pas du tout. Parmi ces agents que la réforme défavoriserait si des mesures de revalorisation salariale ne sont pas engagées, on a beaucoup évoqué les enseignants. Mais – c'est rarement dit – les agents territoriaux partageant leur sort sont très nombreux, comme le souligne Éric Coneim, de l'Unsa territoriaux. Et lorsque les agents bénéficient d'un régime indemnitaire, les montants qu'ils perçoivent sont parfois inférieurs aux minima fixés pour leurs collègues de l'État exerçant le même type de fonctions, regrette le responsable syndical.
La fixation à 64 ans de l'âge de départ en retraite à taux plein – qui s'appliquera pleinement à partir de 2027 – est une autre mesure de taille voulue par l'exécutif. Et c'est sans doute la moins bien vue par les syndicats. Aussitôt son annonce faite, le 11 décembre dernier, la CFDT, qui est pourtant favorable à un système de retraite universel par points, a appelé à la reconduction de la grève.
Concertations : des réunions reportées
Très suivi en particulier à la SNCF, à la RATP et dans le monde enseignant, le mouvement social a eu pour conséquence notamment de perturber les travaux de concertation sur les réformes dans la fonction publique. Plusieurs réunions initialement programmées par la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) – auxquelles étaient conviées les représentants des syndicats et des employeurs publics – ont été annulées. Par ailleurs, les travaux des instances nationales de dialogue social de la fonction publique sont bousculés. Convoqué le 10 décembre pour une séance plénière, le conseil commun de la fonction publique n'a pas atteint le quorum. Il était donc convoqué de nouveau ce 19 décembre. De même, la réunion plénière du conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT) du 18 décembre s'est tenue en l'absence de la quasi-totalité de ses membres. À l'exception d'un projet de texte (sur les emplois de direction), tous les autres (dont un sur le Centre national de la fonction publique territoriale) feront donc l'objet de discussions lors d'une nouvelle séance plénière, le 22 janvier prochain. Le président du CSFPT, Philippe Laurent, a précisé à Localtis avoir "obtenu de haute lutte" du secrétaire d'État Olivier Dussopt "que ces textes soient examinés comme s'ils n’avaient pas été inscrits." Cela a réellement une importance : dans le cas contraire, les membres du CSFPT n'auraient pas la possibilité de déposer des amendements lors de la prochaine réunion. Le dialogue social ne serait donc que de façade.
Il reste qu'avec ces reports, la parution des projets de textes d'application de la loi de transformation de la fonction publique – qui sont au nombre d'une cinquantaine – prendra du retard. Au grand dam sans doute du gouvernement, qui voulait aller vite (voir le calendrier prévisionnel d'application de la loi). Depuis la rentrée de septembre, ces textes réglementaires sont au cœur des travaux des instances consultatives nationales. L'un des premiers à avoir été soumis à celles-ci, le décret sur les attributions des commissions administratives paritaires (CAP) et les lignes directrices de gestion des ressources humaines, a déjà été publié (c'était au Journal officiel du 1er décembre). Un décret (à consulter ici) définissant certaines règles d’alimentation du compte personnel de formation (CPF) des agents publics et les modalités de la portabilité, entre les secteurs public et privé, des droits accordés dans le cadre de ce dispositif, est également paru (au Journal officiel du 19 décembre).
Projets d'ordonnances
D'autres textes devraient rapidement emprunter le même chemin. Comme le décret qui organise la procédure de recrutement pour occuper des emplois permanents ouverts aux agents contractuels et celui qui prévoit les modalités de l'expérimentation concernant la rupture conventionnelle. Le décret sur le contrat de projet, qui, ce 19 décembre, était à l'ordre du jour du conseil commun de la fonction publique, est lui aussi en vue. En revanche, d'autres textes nécessitent encore des réglages et discussions. C'est le cas par exemple du projet de décret autorisant le recours ponctuel au télétravail (il est programmé pour la séance du conseil commun du 30 janvier prochain).
Cette phase de concertation est l'occasion pour les représentants du personnel de clamer leur opposition résolue à la réforme. Mais aussi d'obtenir auprès du gouvernement (parfois avec l'aide des représentants des employeurs) certaines des évolutions revendiquées par les uns ou les autres (par exemple sur le projet de décret concernant les fonctionnaires territoriaux nommés dans des emplois permanents à temps non complet et sur celui relatif aux emplois de direction dans la fonction publique territoriale).
De même, des projets d'ordonnances pris en application de la loi du 6 août dernier seront au menu de la concertation à partir du début de l'an prochain. Instances médicales, protection sociale complémentaire des agents, recrutement, formation et mobilité des cadres supérieurs de la fonction publique, formation des agents les moins qualifiés, possibilité d'accords négociés dans la fonction publique… les sujets sur la table seront de tout premier plan.