Modèle économique et mesure d’impact : comment la Banque des Territoires accompagne l’ESS dans sa mue

Plébiscitée par la société civile et soutenue par les pouvoirs publics, l’économie sociale et solidaire (ESS) représente 14% des salariés privés et 10% du PIB français. Pour continuer à s’épanouir, le secteur est aujourd’hui confronté à un changement de paradigme : on attend désormais des différentes structures de l’ESS qu’elles définissent un modèle économique qui atténue leur dépendance aux subventions et leur donne accès à des financements privés. La Banque des Territoires est à leurs côtés dans cette démarche – un engagement qui se traduit par de nombreux dispositifs, relevant à la fois de l’accompagnement et de l’investissement.

La nécessité de construire un modèle économique pérenne

L’ESS est en pleine mutation : il s’agit de quitter un modèle qui repose largement sur l’obtention de subventions publiques, pour s’autonomiser à travers une génération de revenus réguliers. Cette modélisation économique est par ailleurs un prérequis pour pouvoir financer ensuite des investissements via de l’argent privé. La Banque des Territoires accompagne les différentes organisations qui en ont besoin à faire émerger un modèle économique cohérent avec leur raison d’être, leur territoire et leurs savoir-faire. « Nous avons notamment mis en place des enveloppes de « crédits d’ingénierie ». Ce sont des heures d’accompagnement financier et juridique qui permettent à ces organisations sociales et solidaires de réfléchir à un modèle économique innovant leur permettant d’attirer des investisseurs le cas échéant et, surtout, de valoriser leurs actions et leur impact extra-financier » souligne Christophe Genter, Directeur du Département Cohésion Sociale et Territoriale à la Banque des Territoires.

La transition n’est pas toujours aisée. L’ESS rassemble des structures de formats, de maturités et de fonctionnement économique extrêmement différents (associations, coopératives, fondations, sociétés commerciales). Par ailleurs, les incertitudes engendrées par la crise sanitaire actuelle n’incitent pas à des projections de long terme ni à des prises de risque. Néanmoins, toutes ces organisations partagent le constat d’une raréfaction des subventions et donc de l’impérieuse nécessité, pour elles, de s’organiser différemment. « Il y a aussi une histoire de génération », constate Christophe Genter : « de plus en plus de jeunes entrepreneurs entrent dans la sphère de l’économie sociale et solidaire en étant déjà acculturés à la recherche d’innovation et de rentabilité ».

 

Améliorer la solidité financière des acteurs de l’ESS

Une fois le modèle économique défini, « l’enjeu pour ces structures, à l’utilité publique incontestable, consiste à disposer de fonds propres suffisamment robustes pour franchir une nouvelle étape : attirer des investisseurs ou lever de la dette sur le marché bancaire traditionnel pour accélérer leur changement d’échelle », explique Christophe Genter. Un des leviers pour la Banque des Territoires est alors d’investir en fonds propres et quasi-fonds propres dans certaines structures, soit par un investissement direct, soit en intermédié à travers des fonds d’investissement à impact qu’elle a financés. Parmi les nombreux secteurs d’activité dans lesquels les structures de l’ESS agissent, cinq domaines d’intervention sont prioritaires pour la Banque des Territoires : transition alimentaire, formation et éducation, inclusion numérique, santé et médico-social, et développement économique local (économie circulaire, tiers-lieux, insertion par l’activité économique).

" Des investissements, mais aussi de l’accompagnement dans la recherche d’un modèle économique "

C’est ainsi que la Banque des Territoires finance l’entreprise Les 3 colonnes à travers 100 000 euros de capital et 2 millions d’euros de titres participatifs. Cette SCIC (société coopérative d’intérêt collectif) propose une offre de viager solidaire : une solution immobilière de viager sans visée spéculative permet à une personne âgée de rester à son domicile le plus longtemps possible d’une part, et de bénéficier d’un bouquet de services (aménagement et sécurisation du logement, portage de repas, activité physique, etc.) d’autre part.

Par ailleurs, la Banque des Territoires déploie une nouvelle offre consistant à renforcer les fonds propres des associations, en souscrivant à leurs émissions d’obligations sous formes de Titres Associatifs.

Au total, la Banque des Territoires s’est engagée – auprès de la Secrétaire d'État chargée de l'Économie sociale, solidaire et responsable Olivia Grégoire, à mobiliser au moins 300 millions d’euros entre 2020 et 2022 pour accélérer la transformation du secteur.

 

Mesurer l’impact sociétal pour pouvoir l’amplifier

S’il est impératif de renforcer le haut de bilan des acteurs de l’ESS, il s’agit bien cependant de rester aligné avec l’ADN de ce secteur – qui n’est pas la performance financière, mais bien l’utilité sociale. Néanmoins, selon la formule du physicien Niels Bohr, « ce qui n’est pas mesuré n’existe pas ». C’est pourquoi les structures sont encouragées à définir un business plan extra-financier sur lequel elles s’engagent : créations d’emplois, réinsertion sociale et professionnelle de personnes éloignées de l’emploi… « Des comités ad hoc dédiés à ces questions de mesure d’impact sont régulièrement organisés par les sociétés investies par la Banque des Territoires », précise Christophe Genter. « Mais un des enjeux aujourd’hui reste d’harmoniser les indicateurs extra-financiers du marché ».

L’enjeu est d’harmoniser les indicateurs du marché permettant de mesurer l’impact extra-financier 

Christophe Genter

Soucieux d’endiguer l’« impact washing », le régulateur porte en effet une attention grandissante à ce sujet, de Bercy à l’Union européenne. Du côté de la Banque des Territoires, on œuvre à promouvoir une méthodologie qui s’appuie sur les 17 objectifs de développement durable(ODD) fixés par l’Organisation des Nations Unies tout en y intégrant les spécificités de chaque projet. Le point de départ est toujours cette question essentielle : qu’est-ce qui, dans le projet, va générer de l’utilité sociale ou environnementale ? Déterminer des indicateurs pertinents et mesurables est aussi une manière, pour le porteur de projet et ses futurs financeurs et partenaires, de s’assurer que l’initiative répond à un véritable besoin sociétal.

 

Libérer l’innovation sociale

Pour les structures qui ont justement déjà fait la preuve d’une innovation sociale forte et qui souhaitent à présent lui donner une plus grande ampleur, la Banque des Territoires a créé le Fonds i (i pour « ingénierie »). Ce dispositif d’accompagnement aide à diffuser l’innovation dans tout l’écosystème, au-delà du seul développement du porteur de projet. « Il faut s’assurer que la valeur ajoutée sociétale et l’innovation restent effectivement au cœur du modèle de l’ESS, mais quand c’est le cas, il faut aussi leur donner la chance de se déployer à grande échelle ». Si le Fond i fait appel à une avance remboursable à taux zéro, l’objectif est surtout de s’appuyer sur une communauté d’acteurs engagés pour faire essaimer des initiatives sur tous les territoires.

 Il faut donner la chance aux projets à forte valeur ajoutée sociétale de se déployer à grande échelle

Christophe Genter

D’où, par exemple l’accompagnement, grâce à de nombreux partenaires (France Active, l’Avise, Eurogroup consulting…),  du Réseau Cocagne (fermes biologiques et distribution de « paniers bio »). Une qualification des besoins et un bilan stratégique de cet acteur déjà bien implanté ont permis de mener une analyse du plan d’investissement, de construire une filière territoriale pour consolider le modèle économique, et d’accompagner le renouvellement de la gouvernance. Autant de chantiers qui lui ont donné un solide élan pour amplifier son action sur l’ensemble du territoire national.

Dans la même logique de changement d’échelle, l’Etat a relancé ces derniers mois les «Contrats à impact». Il s’agit de pré financer par des ressources d’investisseurs privés (banques, fonds d’investissement, compagnies d’assurance…) des programmes d’actions sociales et environnementales innovants tournés vers la prévention et donc générateurs de coûts évités pour la puissance publique. Augmenter le taux de réinsertion professionnelle, réduire le taux de récidive chez les anciens détenus, limiter le placement d’enfants dans des foyers d’accueil… Autant de sujets sur lesquels 13 projets ont été labellisés depuis 2016, et des appels à manifestation d’intérêt qui se succèdent depuis septembre 2020 (AMI Economie circulaire lancé par l’ADEME, AMI Egalités des chances économiques lancé par le secrétariat d’Etat à l’ESSR, AMI à venir sur l’inclusion par l’emploi par le ministère du travail).

Sous différentes formes et en fonction de la maturité du projet, la Banque des Territoires accompagne les acteurs de l’économie sociale et solidaire dans la transformation de leur secteur. L’innovation sociale indispensable à notre époque passe nécessairement par un juste équilibre entre impact social de grande ampleur et performance économique.

Christophe Genter

Directeur du Département Cohésion sociale et territoriale, Banque des Territoires, Groupe Caisse des Dépôts

De formation Ingénieur, Christophe Genter débute sa carrière en 1996 au Commissariat à l’Energie Atomique, puis intègre le groupe Bouygues en 1997 au sein duquel il évoluera durant douze ans à des postes d’ingénierie de réseaux télécoms et de management. En 2008 il rejoint le groupe Caisse des Dépôts et intègre le Département Numérique en tant qu’investisseur dans les infrastructures et services numériques. En 2012, il prend la responsabilité de l’équipe Investissement, puis est nommé directeur adjoint du Département en 2015. Depuis 2019, Il occupe le poste de directeur du Département Cohésion sociale et territoriale, en charge des investissements dans l’économie sociale et solidaire, l’économie mixte, et plus globalement les projets à impact social et territorial.

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