Les sénateurs cherchent les moyens de fluidifier le marché du travail
La délégation sénatoriale aux entreprises a interrogé le 26 janvier un panel d’économistes et d’experts dans le cadre de la mission "Formation, compétences et attractivité" afin de dresser un diagnostic de la situation vécue par des entreprises qui font face à des difficultés récurrentes en matière de recrutement.
Les difficultés de recrutement sont devenues un mal récurrent auquel sont confrontées nombre d’entreprises hexagonales. Un sujet dont la délégation sénatoriale aux entreprises s’était déjà emparée en 2019 avant de récidiver avec un rapport publié en 2021, Covid oblige, traitant plus spécifiquement de l’évolution des modes de travail. Aujourd’hui, résume le président de la délégation, Serge Babary, l’amplification récente de ce phénomène est devenue "le cauchemar n°1 des entreprises".
"Symptôme d’un mauvais fonctionnement du marché du travail"
Selon Gilbert Cette, professeur d’économie à Neoma Business School, il est essentiel de garder à l’esprit que l’on observait ces difficultés de recrutement "bien avant la crise du Covid". Un phénomène directement corrélé, selon lui, "à l’amorçage d’une baisse du taux de chômage" observée dès 2015 dans les trois grands secteurs de l’industrie, des services marchands et de la construction. Des difficultés similaires s’observent "dans tous les grands pays européens, notamment l’Allemagne et les Pays-Bas, où le taux de chômage est faible", explique-t-il. Un panorama dans lequel la France détonne néanmoins avec un taux qui reste élevé autour de 7,3% de la population active, "symptôme d’un mauvais fonctionnement du marché du travail". Les postes qualifiés sont les premiers concernés par ces difficultés de recrutement, "ce qui peut révéler des problèmes de formation", tandis que les postes peu qualifiés le sont en très grand nombre, ce qui relève davantage d’un problème d’attractivité, notamment dans la construction, l’aide à domicile ou encore l’hôtellerie-restauration.
Au bout du compte, Gilbert Cette constate que des entreprises dynamiques ont des difficultés spécifiques pour recruter la main-d’œuvre dont elles auraient besoin pour croître, celle-ci étant davantage captée par des entreprises moins dynamiques.
"Des formations peu alignées sur les besoins des entreprises"
Cette difficulté à recruter pèse sur la croissance des entreprises comme sur leurs coûts de recrutement, explique Dimitri Mavidis, économiste à la direction de l'emploi, du travail et des affaires sociales de l'OCDE au sein de la division des compétences et de l'employabilité. Pour surmonter ces difficultés, l’État doit mener de front plusieurs combats. D’abord sur le terrain de l’incitation à l’emploi où la France joue les mauvais élèves avec "un taux d’emploi parmi les moins élevés pour les moins qualifiés et les seniors au sein de l’OCDE", à cause, dénonce-t-il, "de passerelles vers la retraite beaucoup plus faciles que dans d’autres pays". En matière de formation, là aussi la France "forme moins les travailleurs que dans d’autres pays", avec à la clé "des formations peu alignées sur les besoins des entreprises". Enfin, l’économiste pointe "un indice de protection de l’emploi parmi les plus élevés de l’OCDE" qui affecte la fluidité de la relation contractuelle et qui rend "le recrutement plus subjectif pour l’employeur".
Michaël Orand, économiste-statisticien, chef de la mission d’analyse économique à la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) met également en cause le dynamisme "intrinsèque" du marché du travail : "quand toutes les entreprises recrutent dans un même secteur, elles rencontrent plus de difficultés à recruter", a fortiori quand le taux de chômage recule. "Bonne nouvelle ! explique-t-il, le marché du travail est aujourd’hui très dynamique."
Coralie Perez, économiste, ingénieure de recherche à l’UMR 8174, Centre d'économie de la Sorbonne, rappelle quant à elle que le fait de ne pas trouver de sens à son travail "multiplie par deux la possibilité de ne pas penser faire le même travail jusqu’à la retraite". Globalement, "on se focalise sur l’emploi et pas assez sur le travail", explique-t-elle.
Coralie Perez (CES) le rappelle, "50% des jeunes trouvent un travail en adéquation avec leur formation initiale". Ce qui ne doit pas faire oublier que pour les 50% restant, "l’entreprise peut être un environnement apprenant". Un aspect trop souvent négligé, explique-t-elle, "même si la loi de 2018 a instauré la formation en situation de travail". Quant à l’apprentissage, regrette-t-elle, la forte croissance enregistrée ces dernières années "est en grande partie due aux apprentis dans l’enseignement supérieur et très peu aux publics visés au départ, ce qui interroge sur la pertinence du ciblage". |