Fonds structurels - Les régions se mobilisent pour sauver leurs financements

Les régions de France et d'Europe sont vent debout contre un projet de communication de Bruxelles qui prévoirait de renationaliser les fonds européens après 2013 et de les réserver aux régions les plus pauvres. En exclusivité, les réactions de Klaus Klipp, secrétaire général de l'Association des régions d'Europe.

La politique régionale 2014-2020 de l'UE se fera-t-elle sans les régions ? C'est ce que craignent l'Assemblée des régions d'Europe (ARE), l'Assemblée des régions de France (ARF) et la CRPM (Conférence des régions périphériques maritimes) dont les présidents viennent chacun d'adresser une lettre ouverte au président Barroso concernant les changements radicaux que la Commission européenne semble vouloir impulser dans la future programmation. Les initiatives de ces associations, non coordonnées, mettent en évidence les inquiétudes des régions d'Europe concernant l'avenir de la politique de cohésion et leur volonté de se replacer au centre du débat. L'ARF et l'ARE réagissent toutes deux à un projet de communication de la Commission, concernant la réforme du budget européen et touchant donc la politique de cohésion, dont elles auraient eu connaissance de façon indirecte, par une fuite diffusée dans la presse.
Cette communication, appelée en jargon européen un "non-paper" car sans existence officielle, est néanmoins très importante : il s'agit de la première ébauche de position de la Commission européenne pour le budget 2014-2020 de l'UE. Difficile pourtant d'y deviner les contours de la future politique de cohésion. Mais les associations sont montées au créneau pour parer aux changements que l'on peut lire en filigranes et que la nouvelle Commission Barroso souhaite faire passer.

 

Réduction des fonds structurels pour les régions françaises ?

La principale inquiétude des associations est la diminution drastique des fonds pour les régions les plus riches dès 2014. En ces temps de crise et de rareté de l'argent public, la Commission pourrait en effet décider de concentrer les crédits sur l'objectif Convergence destiné aux régions les moins développées. Si cette hypothèse était validée, les conséquences seraient lourdes pour la France, particulièrement pour les 22 régions de métropole, puisque seules les régions d'outre-mer sont éligibles à l'objectif Convergence. Rappelons que 14,7 milliards d'euros sont potentiellement alloués aux régions françaises depuis début 2007 jusqu'en 2013 et que 19.000 projets sont déjà financés. Cette réduction pourrait être justifiée par une volonté de concentrer les fonds sur les régions qui en ont le plus besoin, principalement dans les nouveaux Etats membres. Le rapport Barca sur l'avenir de la politique de cohésion, publié fin avril 2009 et réalisé à la demande de la Commission européenne, avait pourtant pris position contre cette idée, en insistant sur le fait que la politique de cohésion n'était pas un simple instrument de redistribution financière et qu'elle devait s'adresser à toutes les régions, y compris celles ne connaissant pas de retard économique. C'était également la position des 27 ministres européens du développement régional réunis à Mariánské Lázn, en République tchèque, du 22 au 24 avril dernier.
Au-delà des frontières françaises, l'ARF fait valoir qu'une telle décision remettrait en cause la réussite de toute stratégie pour la croissance, en excluant la plupart des régions de la politique de cohésion, alors même que 75% des fonds sont actuellement dédiés à des projets faisant avancer la stratégie de Lisbonne. "Envisager d'exclure de la politique de cohésion les deux tiers des régions européennes - plus de 200 régions sur 273 d'une vingtaine d'Etats membres - est absolument contraire à l'objectif que nous partageons", écrit Alain Rousset, le président de l'ARF, dans son courrier daté du 19 octobre (voir ci-contre).

 

Renationalisation, concentration et appels à projets sectoriels européens

L'ARE et l'ARF craignent aussi la possibilité d'une renationalisation massive de la politique de cohésion et d'une concentration des fonds vers des projets d'envergure seulement, en particulier pour le FSE, accusé de "saupoudrage", c'est-à-dire de financer des projets de trop petite taille. La diminution des fonds structurels en faveur des grandes politiques sectorielles européennes serait également envisagée, ce qui constituerait un danger selon la CRPM. Cela reviendrait à favoriser les appels sectoriels transnationaux à la politique de proximité de la politique de cohésion.
Autre nouveauté jugée réductrice : les trois nouvelles priorités pour l'UE, ébauchées dans le projet de communication. Ces trois priorités sont la croissance et l'emploi, l'énergie et le climat, et l'UE comme acteur mondial. Selon les régions, elles donneraient l'image d'une Europe qui se protège des crises à venir plutôt qu'elle n'anticipe les défis de demain.


Une politique de cohésion définie sans les régions ?

La réaction forte des associations de régions est en partie due au fait que le projet de communication a pour le moment été élaboré sans elles. Les lettres ouvertes de l'ARE, de l'ARF et de la CRPM ont clairement réaffirmé leur position : la politique de cohésion doit être définie en partenariat avec les régions. Elle doit continuer à couvrir l'ensemble du territoire européen et être au centre de la nouvelle stratégie pour la croissance et l'emploi. Reste à voir quelle sera la réponse de la Commission à ces prises de position. Le président de l'Association des régions de France, Alain Rousset, a d'ores et déjà demandé à rencontrer José Manuel Barroso le 4 novembre prochain.

 

Gwenaëlle Radosevic / Welcomeurope
 

 "José Manuel Barroso se redirige vers la nationalisation des fonds structurels"

 

 

Le secrétaire général de l'Association des régions d'Europe (ARE), Klaus Klipp, réagit au projet de communication de la Commission concernant la réforme du budget européen.

 

Localtis : Pouvez-vous nous en dire plus sur la communication de la Commission européenne sur la trame de la nouvelle politique de cohésion 2014-2020 ?

Klaus Klipp : Nous n'avons pas encore d'information officielle sur la nouvelle politique de cohésion 2014-2020. Cette communication en est seulement à l'état d'ébauche, elle ne se concentre pas seulement sur la politique de cohésion mais sur tout le budget européen. Elle ne reflète pas l'opinion de toutes les institutions impliquées dans le processus de décision.
Fin 2009 auront lieu un certain nombre d'événements organisés par la présidence suédoise et le Comité des régions afin de discuter de l'avenir de la politique de cohésion avec des leaders politiques et des parties prenantes. L'ARE sera présente lors de ces événements.

 

 

Concrètement, savez-vous si les fonds alloués à la France seront en baisse ?

Non, pour l'instant, cela ne serait que de la spéculation. D'après le projet de communication, nous avons l'impression que José Manuel Barroso se redirige vers la nationalisation des fonds structurels, ce qui réduirait les fonds pour les régions et redistribuerait ces fonds vers les Etats membres à la traîne.

 

 

 

 

Avez-vous déjà des soutiens de certains Etats membres? Du gouvernement ou du Parlement français ?

Notre tâche est de vérifier quels supports nous pouvons trouver en Europe, à tous les niveaux de gouvernance. Cela sera la prochaine étape de notre action.

 

 

 

 

Allez-vous être appuyés dans votre démarche par le Comité des régions ? Qui sont vos relais ?

Pour le moment, nous en sommes à l'étape réactive, c'est-à-dire que nous avons formulé nos remarques et nos inquiétudes par rapport aux perspectives ouvertes par le document de la Commission. Nous avons rédigé, au nom des 270 régions membres que compte notre assemblée, une lettre ouverte au président de la Commission, dans laquelle nous lui rappelons le rôle joué par les collectivités dans des questions aussi cruciales que le développement économique et la lutte contre le changement climatique. Une mobilisation de tous les acteurs impliqués dans la promotion et la défense du rôle des régions dans l'UE est indispensable pour contrer cette tentative de renationalisation des politiques publiques européennes. Quant à savoir si cette mobilisation doit être coordonnée, cela dépendra de la Commission elle-même, et des suites qu'elle donnera aux différentes demandes qui lui ont été adressées, notamment par l'ARE. C'est pourquoi l'ARE travaille avec le Comité des régions et d'autres organisations représentants les intérêts régionaux. Ils vont dans la même direction et, d'après ce que nous en avons vu, leur réaction au projet de communication est très proche de celle de l'ARE, principalement concernant la renationalisation qui serait contre le principe de subsidiarité et déconnecterait les citoyens de l'UE. Je veux souligner que l'ARE travaille depuis des années sur la politique de cohésion et a formulé de nombreuses contributions à la Commission européenne et aux autres institutions compétentes ces dernières années.

 

 

 

 

N'y a-t-il pas des aspects positifs dans ce que vous connaissez de la réforme de la politique de cohésion ? Par exemple, la renationalisation des fonds ne permettrait-elle pas une gestion plus efficace des fonds face à la lenteur de certaines autorités de gestion régionales ? Le fait de développer l'accès aux fonds par des agences exécutives ne clarifie t-il pas l'accès pour les porteurs de projets, qui ne comprennent plus pourquoi passer, pour une même thématique, par les autorités régionales, et d'autres fois par Bruxelles ?

Il y a des éléments positifs dans de précédents documents comme le rapport Barca (demandé par la précédente commissaire Danuta Hübner pour développer des recommandations sur l'avenir de la politique de cohésion, NDLR). L'ARE est favorable à l'idée du rapport Barca de la création d'un "conseil de la cohésion". Ce conseil pourrait décider de la future stratégie de la future politique de cohésion qui, de notre point de vue, devrait être décidée avant l'allocation des fonds. Le rapport Barca souligne aussi fortement l'importance d'une approche basée sur les territoires, que nous ne voyons malheureusement plus apparaître dans le projet de communication.
En ce qui concerne la France, actuellement, les fonds ne sont pas gérés par des autorités régionales mais par des autorités nationales, sauf en Alsace. Donc s'il y a des problèmes dans la gestion des fonds, ils doivent être recherchés au niveau national et déconcentré.
En ce qui concerne le nombre de fonds pour une même thématique, cette multiplicité est due au fait que différentes DG (directions générales) travaillent sur ces thématiques, ce qui peut compliquer le choix du programme pour les porteurs de projets régionaux. Par exemple : fonds structurels, programme innovation et compétitivité et PCRD sont trois programmes très différents qui travaillent tous sur la thématique de l'innovation mais avec un fonctionnement différent.
L'ARE vient de créer un groupe de travail chargé de plancher sur les questions d'harmonisation des procédures et critères d'éligibilité de tous ces programmes. Une harmonisation conduirait à une réduction de la bureaucratie.

 

 

 

 

Concrètement, quelles sont les prochaines étapes de cette négociation ? Allez-vous rencontrer José Manuel Barroso ?

Dans la lettre que je lui ai adressée, j'ai demandé au président Barroso un entretien au sujet de cette communication. J'avais déjà eu l'occasion, peu de temps après la mise en œuvre du plan de relance européen face à la crise économique, de le rencontrer et de lui rappeler qu'un plan de relance conçu sans consultation des régions serait une erreur.
Par exemple, selon le PNUD, entre 50% et 80% des mesures d'atténuation et d'adaptation au changement climatique dépendent, du point de vue de leur mise en œuvre, des collectivités. Je vous laisse constater à quel point il serait absurde, sous prétexte de redéployer la politique budgétaire vers l'économie verte, d'ignorer une fois encore les régions.
Les économistes le disent eux-mêmes : aujourd'hui, l'innovation se fait dans les territoires, grâce aux politiques de clusters entre autres. C'est cette vérité qu'il nous faut marteler, tant qu'elle n'est pas pleinement reconnue par les institutions de l'UE.

Propos recueillis par Gwenaëlle Radosevic / Welcomeurope