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Lendemain de 1er tour, entre tractations et bonnes résolutions face à l'abstention

Le principal vivier de voix dimanche prochain sera évidemment… celui des abstentionnistes. En commençant par régler les dysfonctionnements constatés lors du 1er tour, notamment sur l'acheminement des professions de foi. Et en communiquant mieux sur le vote par procuration ? Même si les principales causes de l'abstention sont naturellement plus profondes.

Les tractations se sont lancées lundi matin pour le second tour des régionales et départementales, après un premier tour déserté par deux électeurs sur trois (voir notre article de lundi matin). Des discussions qui s'étaleront jusqu'à mardi à 18h pour négocier des alliances, fusions ou retraits de listes pour le second tour. 

En Paca, sous la pression, le chef de file écologiste de l'union de la gauche Jean-Laurent Félizia a finalement retiré sa liste, laissant le sortant LR Renaud Muselier et l'ex-Républicain Thierry Mariani s'affronter au second tour.  En Ile-de-France, où Valérie Pécresse arrive largement en tête mais, une union des candidats de gauche - Julien Bayou, Audrey Pulvar, Clémentine Autain - a finalement été scellée lundi après-midi autour de Julien Bayou. Aucun accord n'a en revanche été trouvé entre la liste menée par la présidente sortante de la région Occitanie Carole Delga (PS), arrivée en tête du 1er tour avec près de 40% des voix, et la liste de l'écologiste Antoine Maurice. En Centre-Val de Loire, le candidat de la majorité présidentielle Marc Fesneau se maintiendra au second tour après l'échec des négociations en vue d'un rapprochement avec la liste de Nicolas Forissier (LR-UDI). On se dirige donc vers une quadrangulaire RN / LR-UDI / majorité présidentielle / gauche rassemblée après une fusion des listes PS-PCF et EELV-LFI autour du président sortant François Bonneau (PS).

Dans toutes les régions, le principal vivier de voix dimanche prochain sera évidemment… celui des abstentionnistes du 1er tour. Jean Castex a d'ailleurs lancé "un appel solennel" à tous les Français à se rendre aux urnes pour le second tour. "Faire gagner l'abstention, c'est faire perdre la démocratie. Nous devons tous, collectivement, la combattre. Ce n'est pas une formule mais une exigence républicaine", a-t-il tweeté.

Les explications possibles à la forte abstention sont multiples et cumulatives, qu'elles soient profondes (voir ci-dessous le point de vue de la chercheuse Céline Braconnier) ou plus conjoncturelles. Difficile de dire si le dysfonctionnement constaté depuis plusieurs jours par de nombreuses communes quant à la non-distribution de la propagande électorale a eu un réel impact… mais ce fut le grain de sable de trop. Alors que les candidats n'ont pas vraiment pu mener campagne de terrain dans des conditions optimales, le rôle des professions de foi dans les boîtes aux lettres était plus important que jamais.

Professions de foi : le prestataire défaillant sommé de faire mieux la prochaine fois

Gérald Darmanin a sommé lundi Adrexo et La Poste, les deux prestataires de l'acheminement de la propagande électorale, de prendre "toutes les mesures afin de rétablir un service normal" pour le second tour. Dans un communiqué, le ministre de l'Intérieur a expliqué les avoir convoqués au ministère lundi matin "à la suite des dysfonctionnements inacceptables liés à la qualité de l'acheminement". "A court terme", il "leur a rappelé l'obligation de résultats qui les liait" et leur a "demandé expressément de garantir que de tels dysfonctionnements ne se reproduisent pas" dimanche prochain. Le ministre a ajouté que les deux prestataires "communiqueront directement afin d'apporter toutes les réponses légitimement attendues par les élus et candidats, ainsi que par nos concitoyens". Ils "proposeront d'ici ce soir des mesures fortes pour améliorer très concrètement l'information des électeurs", a poursuivi Gérald Darmanin. Il a prévenu enfin que "tous les enseignements des erreurs commises seront tirés au lendemain du second tour". La Poste et Adrexo avaient remporté l'appel d'offres du ministère concernant cette distribution.

La commission des Lois du Sénat a de son côté annoncé lundi l'audition mercredi matin de Gérald Darmanin sur les "difficultés d'organisation majeures" du premier tour. "De nombreux électeurs n'ont pas été rendus destinataires des professions de foi des candidats ; des bureaux de vote n'ont pu accueillir pendant toute la durée d'ouverture du scrutin les électeurs désireux d'accomplir leur devoir civique", relève la commission, qui souhaite en particulier entendre le ministre sur "les mesures qu'il entend prendre en vue de l'organisation du second tour". "Le ministère de l'Intérieur était informé depuis plusieurs jours des problèmes d'acheminement des documents de propagande électorale", a déclaré le président de la commission François-Noël Buffet (LR).

Une mesure a en tout cas déjà été prise : les préfets ont été invités à superviser dès ce lundi la mise sous pli et la distribution de la propagande électorale. Le secrétaire général du ministère de l'Intérieur, Jean-Benoît Albertini, a adressé dimanche un courrier en ce sens aux préfets, avec des consignes extrêmement précises. "Il est absolument nécessaire de s'assurer, en vue du 2e tour des scrutins, des garanties qui pourront être apportées pour tirer les leçons des difficultés constatées", y écrit le secrétaire général. "Il est également fondamental que les élus des territoires, qu'ils soient candidats ou non, disposent des informations utiles à ce titre". Pour assurer "une supervision effective et systématique de la mise sous pli", les préfets devront "détacher un agent de la préfecture sur les lieux où sont organisées ces opérations pour en vérifier la qualité". Ils devront aussi "mettre en place une cellule opérationnelle de suivi de la distribution de la propagande électorale sur tout le ressort départemental (le cas échéant au niveau des sous-préfectures pour un suivi fin)". Il leur est également demandé de "donner suite directement et dans les délais les plus brefs aux signalements (...) pour que les correctifs nécessaires soient définis et mis en oeuvre au maximum sous 24 heures et en tout état de cause à la plus prochaine tournée de distribution". Enfin, les préfets devront "mettre à disposition des élus un numéro de téléphone et une boîte fonctionnelle dédiée qui sera relevée en permanence pour traiter ces signalements" et un "point national sera réalisé deux fois par jour par le ministère de l'Intérieur pour traiter dans les plus brefs délais les incidents signalés".

"La gestion opérationnelle de cette mission a connu des perturbations en mai", a reconnu Adrexo lundi dans un communiqué, disant avoir été "victime" d'une "cyberattaque". "Avec la résolution de cet incident, Adrexo s'est organisée pour permettre à ses équipes de distribuer dans les meilleures conditions malgré les fortes contraintes informatiques et opérationnelles", a ajouté l'entreprise après sa convocation au ministère de l'Intérieur, assurant avoir "stabilisé ses systèmes d'informations". Adrexo précise également mettre en place "un suivi de campagne spécifique au niveau local" via une "cellule d'accompagnement dédiée, à destination des préfectures, sous-préfectures et mairies et des procédures de suivi des distributions localement renforcées".

Procurations : quelques incompréhensions ?

Parmi les autres difficultés matérielles ayant pu contribuer, même modestement, à l'ampleur de l'abstention figure peut-être aussi la gestion du vote par procuration. Ces élections étaient supposées mettre en œuvre une simplification, avec la possibilité d'être porteur de deux procurations et, surtout, l'entrée en service de la télé-procédure "Maprocuration". Sauf que cela a semble-t-il généré çà et là diverses difficultés ou incompréhensions. Des électeurs qui n'avaient pas anticipé le fait que même en remplissant le formulaire en ligne, il fallait ensuite se déplacer en gendarmerie ou commissariat. Telle gendarmerie affirmant ne pas "avoir le logiciel" pour traiter les demandes faites en ligne et exigeant donc un formulaire papier "à envoyer par La Poste" (du coup, pour certains électeurs, il était trop tard). Telle autre, a contrario (ou du moins tel autre gendarme) congédiant un électeur en affirmant que seules les demandes faites préalablement via le site Maprocuration étaient recevables (alors qu'il était en réalité bien toujours possible de remplir une demande papier sur place). Enfin, sur les réseaux sociaux, les témoignages d'électeurs dont la procuration n'est jamais arrivée jusqu'au bureau de vote sont nombreux (exemple : "La procuration n'est pas arrivée au bureau de vote. Petite commune, un seul bureau de vote, cinq procurations ne sont pas arrivées. A priori la gendarmerie les dépose au chef-lieu de canton et pas dans chaque commune"). Quoi qu'il en soit, il ne sera pas inutile de rappeler qu'il reste possible, en ce début de semaine d'entre-deux-tours, de faire une demande de vote par procuration en vue de dimanche prochain.

  • Céline Braconnier : "Il serait temps de réinvestir la démocratie représentative"

Spécialiste de l'abstention, Céline Braconnier (Sciences Po Saint-Germain-en-Laye) voit dans le premier tour des régionales et des départementales une nouvelle étape dans le "désenchantement démocratique", entre jeunes qui boudent les urnes et plus âgés qui votent "par devoir".

 (Propos recueillis par l'AFP)

Comment analysez-vous cette abstention record ?
Céline Braconnier - "C'est une tendance de fond, on bat systématiquement des records à toutes les élections, sauf à la présidentielle. Ce n'est qu'en partie lié à la crise sanitaire et de façon assez indirecte. Il n'y a pas eu de véritable campagne. Or, les électeurs les plus loin du vote sont ceux qui ont besoin de campagne de proximité, de porte à porte, de discussions. Cela vient s'ajouter à une offre politique illisible. Le cadrage de l'élection a été très national, ce qui n'a pas du tout aidé les citoyens à avoir des repères sur les enjeux régionaux et départementaux. La campagne régionale a aussi complètement éclipsé les départementales. Et on a eu deux scrutins où les partis se présentaient dans des configurations très différentes, parfois alliés aux départementales et rivaux aux régionales, dans le même bureau de vote... Enfin, ce sont bien sûr les moteurs traditionnels de l'abstention qui ont joué : la défiance envers les élus, le sentiment qu'ils sont déconnectés et très éloignés des citoyens et que voter ne change au fond pas grand chose. C'est un nouveau moment de désenchantement démocratique."

Qui a été le plus pénalisé par l'abstention ?
"Les facteurs socio-démographiques de l'abstention ont eu un retentissement très fort. Les jeunes votent nettement moins, les catégories populaires aussi. Dans le bureau de Saint-Denis où j'ai suivi l'élection, j'ai vu très très peu de jeunes. Et les personnes âgées que nous avons interrogées semblaient plus venir par devoir ou par habitude, pour produire un vote désenchanté. Outre l'abstention, chez les rares votants, il n'y avait pas non plus d'engagement ou d'espoir de changement. Du côté des partis, le RN a un électorat plus jeune, de milieu ouvrier. Ils ne se sont pas déplacés. Il est vrai que le RN suscite souvent un vote d'adhésion et d'engagement. Mais une partie de ses électeurs est très intermittente dans sa participation. Le RN est désavantagé par rapport à LR, dont le coeur de l'électorat est plus âgé, beaucoup plus constant dans sa pratique électorale."

Ces chiffres sont-ils inquiétants pour 2022 ?
"Ils traduisent une désaffection croissante des élections intermédiaires, mais la présidentielle continue à mobiliser assez massivement, malgré une hausse de l'abstention depuis 2007. Il n'y a donc pas encore de rupture avec l'acte de vote mais il faut arriver à réenchanter la démocratie, avec des campagnes de forte intensité, des lignes beaucoup plus claires, une offre programmatique clivée. C'est extrêmement inquiétant qu'entre deux présidentielles, on n'arrive plus à mobiliser les électeurs sauf ceux qui votent par habitude ou par devoir. Avec une abstention pareille, l'électorat qui vote est beaucoup plus âgé, beaucoup plus stable et installé. Cela induit des effets sur les politiques publiques, car les élus font aussi une politique pour les électeurs... Il serait temps de réinvestir la démocratie représentative. On ne peut pas se contenter d'être désolé le soir d'un premier tour. Vous verrez, les élus vont très rapidement passer à autre chose, car ils n'ont pas intérêt à insister sur le faible score lié à leur élection, il en va de leur légitimité. La question de la lutte contre l'abstention n'est pas sérieusement traitée."

 

 

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