Enfants à la rue : les associations rappellent à l’État et aux départements leurs responsabilités

A la veille de la rentrée scolaire, l’Unicef France et la Fédération des acteurs de la solidarité ont recensé plus de 2.000 enfants contraints de passer la nuit dans la rue faute de places d’hébergement d’urgence pour eux et leur famille. Ces associations dénoncent des promesses gouvernementales non tenues et des décisions radicales de départements vis-à-vis des publics dont ils ont la responsabilité, comme les mères isolées avec enfants de moins de trois ans. Au cœur de l’été, la métropole de Lyon a ainsi suspendu l’accueil de nouveaux publics, pour contraindre l’État à dépenser davantage sur le sujet - décision sur laquelle la métropole est finalement revenue, ce 30 août, en ce qui concerne l’accueil des mères isolées. 

Mi-juillet, la métropole de Lyon a annoncé qu’elle était contrainte, pour des raisons budgétaires, de suspendre temporairement toute nouvelle mise à l’abri de personnes se retrouvant à la rue, y compris des femmes enceintes et des mères isolées avec enfants de moins de trois ans dont elle a pourtant la responsabilité au titre de ses compétences départementales. Après avoir porté une politique volontariste en matière d’"hospitalité" depuis 2020, la métropole entendait, par ce geste, rappeler à l’État ses obligations en matière d’hébergement d’urgence. 

Les travailleurs sociaux de la métropole se sont retrouvés "démunis", n’ayant "plus aucune solution" à proposer notamment à des femmes qui sortaient de la maternité avec leur nouveau-né, a témoigné Juliette Murtin, porte-parole du collectif lyonnais "Jamais sans Toit" et du Réseau national d’aide aux élèves sans toit, le 29 août 2024 lors d’une conférence de presse dédiée aux enfants à la rue. 

"La situation des enfants à la rue se dégrade", alertent plus généralement les associations (1). Pour leur sixième baromètre consacré à ce phénomène, l’Unicef France et la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) ont recensé 2.043 enfants sans solution d’hébergement dans la nuit du 19 août 2024, un chiffre en hausse de 3% par rapport au décompte d’août 2023 et de 120% par rapport à 2020. Parmi ces enfants à la rue, "467 ont moins de 3 ans et 168 moins de 1 an", s’est indignée Adeline Hazan, présidente de l’Unicef France.  

A Lyon, trois écoles seront "occupées dès le soir de la rentrée"

Ces chiffres ne comprennent pas les mineurs non accompagnés (MNA) sans abri et les familles vivant en squats ou en bidonvilles, ni les enfants des familles ayant renoncé à appeler le 115 (69% des personnes sans abri à Paris, selon un décompte réalisé lors de la Nuit de la solidarité 2024). Par ailleurs, toujours dans la nuit du 19 août, près de 29.000 enfants étaient hébergés à l’hôtel. 

A l’initiative de parents d’élèves et parfois d’enseignants, les dispositifs d’entraide se sont multipliés pendant l’année scolaire 2023-2024, avec 80 écoles qui ont été "occupées" pour mettre à l’abri 350 enfants, rapporte Juliette Murtin. A Lyon, "au moins 3 écoles seront occupées dès le soir de la rentrée, c’est du jamais vu", ajoute-t-elle, précisant que beaucoup de collectivités "tolèrent" ces mobilisations. "Les occupations ne sont qu’une mise à l’abri dans l’urgence, face à l’inaction des services publics", commente Abdelkrim Mesbahi, président de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE). 


120 millions d’euros pour l’hébergement d’urgence : "cet argent n’a jamais été débloqué"

Adeline Hazan dénonce l’absence de volonté politique, avec un objectif affiché par l’Etat de "rester à 203.000 places [d’hébergement d’urgence] alors que ça ne suffit pas". Selon elle, la création de 10.000 places supplémentaires est un minimum sur lequel se retrouvent les associations. Cet effort supplémentaire de l’État correspond à une rallonge de 120 millions d’euros qui avait été accordée par l’ancien ministre du Logement, Patrice Vergriete, en janvier 2024 (voir notre article). "Cet argent n’a jamais été débloqué", déplore Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre et porte-parole du Collectif des associations unies (CAU). 

Autre promesse gouvernementale non tenue, accusent les associations : celle d’Olivier Klein, prédécesseur de Patrice Vergriete au ministère du Logement, qui annonçait en octobre 2022 travailler à ce qu’il n’y ait plus d’enfant à la rue (voir notre article). Le gouvernement entendait alors s’appuyer sur la création d’un "observatoire des besoins" pour favoriser un meilleur partage d’informations entre les acteurs et prendre en charge toutes les "situations individuelles avec des enfants à la rue" (voir notre article). En deux ans, les associations ont été conviées à une seule réunion sur cet observatoire, regrette Manuel Domergue. 

Les associations pointent encore l’instabilité politique, avec trois ministres du Logement en deux ans, une longue vacance du poste au moment du remaniement ministériel de début 2024 et désormais l’absence prolongée d’un gouvernement de plein exercice. Pour ces responsables associatifs, le seul avantage de la dissolution de l’Assemblée nationale est l’arrêt du projet de loi Logements abordables dit "Kasbarian 2" et de ses mesures jugées délétères pour la construction de logements sociaux (voir notre article). 

Métropole de Lyon : "nous allons continuer à aider, mais nous ne pouvons pas être les seuls"

Les associations appellent à "une augmentation immédiate des places d’hébergement" et à "la mise en œuvre d’une programmation pluriannuelle de l’hébergement et du logement". Elles mettent l’accent également sur le rôle de certains départements qui "négligent leurs responsabilités en matière de prise en charge des mineurs non accompagnés, des femmes enceintes et des mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans sans abri" (voir notre article sur les MNA). 

Devant l’émoi général suscité par la décision de cet été, Bruno Bernard, président de la métropole de Lyon, a finalement annoncé ce 30 août que la métropole allait "reprendre dès maintenant l'accueil des femmes isolées avec enfants de moins de trois ans", rapporte l’AFP. Les nouvelles prises en charge ne concerneront "que le public en lien avec notre territoire", a précisé l’élu.   

Interrogé le 27 août 2024 par BFMTV, Bruno Bernard avait expliqué que les publics des départements voisins se déplacent pour bénéficier des politiques plus généreuses de la métropole. "Les départements peuvent être supplétifs [par rapport à l’action de l’État, ndlr] et nous allons continuer à aider mais nous ne pouvons pas être les seuls", soulignait-il. Bruno Bernard jugeait en outre qu’il n’était "pas acceptable" que la France n’ait "aucune politique nationale" sur le sans-abrisme et demandait à l’État d’"[assumer]" son rôle en matière d’hébergement d’urgence. 

  1. Le Collectif des associations unies, l’Unicef France, la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), le Réseau national d’aide aux élèves sans toit, la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) et Médecins du monde.