"Des mots simples tu utiliseras" : quand la DITP plaide pour un service public sans jargon

Comment simplifier le langage administratif pour retrouver la confiance des usagers ? La Direction interministérielle de la transformation publique a convié plusieurs experts lors d'un webinaire. Tous témoignent de différentes démarches entreprises pour cesser de jargonner, l'un des engagements du dernier comité interministériel de la Transformation publique d'avril 2024. 

C'est un adage bien connu des journalistes : "Faire simple c'est compliqué". C'est aussi un exercice quotidien pour l'administration. Alors que 41% des Français se retrouvent confrontés à des textes qu’ils ne comprennent pas, ou pas bien (Avec des mots, 2018) et qu'1 personne sur 5 estime qu’il faut "simplifier la communication et les formulaires" administratifs (Baromètre de la complexité administrative volet particuliers, 2022), la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) s'est de nouveau frottée au sujet, fin mai 2024, à l'occasion d'un webinaire. Lors d'un d'échange sur le thème : "Parlez-vous Français : pour une relation entre citoyens et services publics sans jargon". L'objectif : mobiliser les administrations pour rendre plus clair et compréhensible leur langage et ainsi contribuer à simplifier la relation entre administrations et usagers. C'est l'un des engagements du comité interministériel de la Transformation publique (CITP) du 23 avril 2024, qui souhaite intensifier le travail de simplification du langage administratif mené par la direction interministérielle de la transformation publique. 

Fini les "J'ai l'honneur d'accuser réception de votre correspondance"

Une transformation nécessaire bien illustrée par Cécile Barrois de Sarigny, adjointe du Défenseur des droits, avec cet exemple des courriers que l'institution adressait aux usagers. Avant, ils commençaient par : "J'ai l'honneur d'accuser réception de votre correspondance par laquelle vous avez appelé mon attention sur votre situation. Mes services ont procédé à l'examen de votre réclamation et vous informeront des suites que je pourrais lui réserver au regard des différentes compétences qui m'ont été attribuées par la loi du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits". Désormais, cette formulation a été modifiée au profit d'une formule beaucoup plus aérée : "Vous avez fait une demande auprès du Défenseur des Droits, nous accusons réception de votre demande, nos juristes vous contacteront après avoir étudié votre dossier".  

Perte de confiance des usagers en l'administration

Comme l'a rappelé Ghislain Deriano, chef du service expérience usagers à la DITP, "on ne part pas d'une page blanche". "Le Premier ministre a lancé lors du CITP un plan 'Parlez-nous Français', centré sur les écrits, les courriers, les sites internet, qui s'appuie notamment sur la suppression de certains Cerfa". Pour lui, il s'agit de "changer de braquet sur le sujet". Car la complexité impacte les usagers et notamment les plus vulnérables. Elle a également un coût : perte de temps, perte de droits et, de manière plus "philosophique", risque de déshumaniser l'administration, ce qui se traduit par une perte de confiance des usagers en l'administration. Cette complexité a aussi un coût pour l'administration : un usager qui ne comprend pas est un usager qui se déplace, qui écrit… et à qui il faut apporter une réponse. Ainsi, l'administration qui écrit souvent en rappelant les règles pour elle-même (RGPD, voies de recours) doit opérer un changement qui consiste à "se mettre à la place de l'usager". Elle doit lui communiquer des informations plus claires qui lui seront utiles. Au titre des démarches qui vont en ce sens, Ghislain Deriano cite le site Service public +, le kit de formulaires simplifiés "actuellement en test au sein du département de Seine-Saint-Denis et au ministère de la Justice". Ainsi qu'une "école du langage clair" qui devait voir le jour dans le cadre du Campus de la transformation de la fonction publique avec l'ex ministre de la Fonction publique Stanislas Guerini. 

Le "très jargonneux" contentieux du stationnement payant

Lors de la table ronde, Cécile Barrois de Sarigny témoigne du fait que la complexité des procédures de l'administration se traduit auprès des délégués de l'institution à travers des réclamations concernant l'accès à des prestations comme "Ma prime Renov" , des non-recours du fait de la complexité du langage administratif ou bien encore, par exemple, le "très jargonneux" contentieux du stationnement payant, sur lequel le Défenseur des Droits a produit un rapport. L'institution elle-même "se regarde dans le miroir", précise-t-elle, et travaille à améliorer ses contenus. 

Rosen Nicolas Berthou, directrice du programme accueil et relation usages chez France Travail, rappelle quant à elle qu'il existe chez France Travail pas moins de 593 modèles de courriers. L'institution envoie en 155 millions par an. Tout le travail a été de "passer à la loupe les échanges courriers, le langage des collaborateurs et le digital". Elle évoque le "travail de réécriture, avec les ergonomes et les équipes de la communication". "Nous confrontons nos courriers aux usagers via le laboratoire des usages" et ce de façon régulière. "On a réécrit 50% du volume de nos courriers ; ceux qui généraient le plus d'insatisfaction", témoigne-t-elle.  

Les termes pivots dont on ne peut se passer

Apolline Le Gall, chercheuse, co-fondatrice de la coopérative de recherche et design "Où sont les Dragons", évoque pour sa part le "centrage utilisateur", le fait de prioriser l'information sans jargon inutile. "Certains courriers sont techniques et doivent le rester car ils sont juridiques, il y a des termes pivots dont on ne peut se passer car ils décrivent une réalité juridique", souligne toutefois celle qui travaille sur "les champs du design du service public". Le plus souvent, la coopérative ne travaille pas que sur un seul document mais sur un parcours, ce qui nécessite une "profonde transformation de la culture et des pratiques managériales". 

Le langage clair, une norme ISO

D'autres experts ont rappelé que les administrations s'appuient déjà sur "le langage clair" qui est une norme ISO. En effet, en juin 2023, l’Europe a publié sa première norme ISO sur le langage clair. Il existe désormais une même référence pour définir ce qu'est le langage clair, ses règles et comment l’appliquer à une entreprise, un groupe ou une administration, publics ou privés. Le langage clair permet par exemple à la personne qui lit un texte, un courrier ou un manuel de comprendre très rapidement. La personne ne doit pas avoir à réfléchir et à relire plusieurs fois le texte.  C'est valable pour tous les types d’écrits : textes de lois, chartes de protection des données sur le web, formulaires etc. La DITP diffuse aussi ce guide "Des mots simples tu utiliseras : 6 conseils pour vous aider à élaborer un document administratif compréhensible par tous"

Concernant la méthode, Cécile Barrois de Sarigny estime que simplifier exige un engagement.  En 2022, 150 agents sur 270 du siège ont notamment été formés au langage clair. "Simplifier prend du temps car nous sommes des juristes et il faut se poser une quantité de questions…"