Médiation numérique : l’ESS vers de nouvelles pratiques et de nouveaux modèles
Déploiement d’Internet dans les territoires, dématérialisation des démarches, diminution du nombre de guichets administratifs physiques : 13 millions de Français sont éloignés du numérique et peinent ainsi à accomplir un certain nombre d’actes importants du quotidien. Face à ce constat, le secteur de la médiation numérique ne cesse d’innover, porté notamment par des structures d’économie sociale et solidaire qui s’affranchissent des lieux traditionnels de médiation, mais aussi inventent de nouveaux standards opérationnels et économiques.
« Aller vers », agir hors les murs
A chaque démarche administrative dématérialisée, le non-recours aux droits augmente significativement, démontrant combien le numérique est, pour certains, un obstacle insurmontable... Les maisons France Services et plus généralement les hubs d’inclusion numérique, déployés par la Banque des Territoires en partenariat avec l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), apportent un appui précieux aux populations marginalisées et fragilisées par l’illectronisme. Néanmoins, la question du maillage reste délicate. « Même avec un lieu de médiation numérique dans chaque intercommunalité de France, cela peut représenter parfois des dizaines de kilomètres à parcourir », souligne Nicolas Turcat, en charge notamment des questions d’inclusion numérique à la Banque des Territoires.
« Il y a au moins cinq barrières à franchir pour se faire accompagner dans un lieu de médiation numérique »
De nouvelles initiatives prennent donc vie, qui consistent à aller vers les populations plutôt qu’attendre qu’elles se déplacent. La Banque des Territoires est ainsi engagée dans un projet de financement d’une centaine de véhicules itinérants – bus, camping-cars, et même pirogues dans les collectivités ultramarines – aménagés pour rayonner sur l’ensemble d’un territoire donné. Par ailleurs, ces véhicules peuvent intégrer d’autres dispositifs et ainsi enrichir le panier de services à destination de populations isolées : portage de repas, bibliothèque, lien social…
Massifier l’usage des lieux de médiation numérique
Outre la distance, les lieux physiques posent la question de l’initiative, de l’incitation. La Banque des Territoires est un des sociétaires & investisseur d’#Aptic, la société coopérative qui a créé le « Pass numérique », dont le déploiement est aujourd’hui accéléré par l’Agence nationale de la cohésion des territoires Ce dispositif innovant vient fournir de nouveaux leviers de motivation pour amener les publics cibles dans les lieux de médiation. « On a pensé qu’il suffisait d’installer ces espaces à proximité des gens, pour qu’ils s’y rendent spontanément », explique Gérald Elbaze, CEO d’#Aptic. « Encore faut-il savoir que le lieu existe, trouver où il se situe, estimer qu’il est utile pour soi, s’y rendre, oser demander de l’aide – cinq barrières à franchir ».
Pour attirer les personnes les plus éloignées du numérique, celles qui ne le voient pas spontanément comme une opportunité, les pass numériques prennent la forme d’un carnet semblable à celui des titres-restaurants, qui véhicule donc un code social positif de droit à une prestation (la valeur financière du service est d’ailleurs inscrite sur chaque pass). Par ailleurs, le papier est un code culturel maîtrisé, tangible, mais aussi nomade : il permet de distribuer le carnet de pass à l’endroit où se trouve le bénéficiaire – agences Pôle Emploi, guichets CAF, mairies, etc. – et dans les conditions qui sont les siennes.
« Le téléphone est un canal plébiscité par 70% des Français »
Diversifier les canaux de médiation
Alors que la médiation numérique a été pensée historiquement en présentiel, le confinement du printemps 2020 a posé la question de l’accompagnement à distance. En créant avec d’autres acteurs la plateforme Solidarité numérique, la MedNum a innové à travers un canal que l’on pourrait pourtant croire dépassé : le téléphone. « C’est par essence un outil de la distance, mais qui est quand même plébiscité par 70% des Français – et bien mieux maîtrisé », rappelle Caroline Span, Co-directrice de cette société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) qui regroupe 86 acteurs de la médiation numérique.
De mars à juillet 2020, puis de novembre 2020 à janvier 2021, la plateforme a reçu plus de 23 000 appels et son site web, 250 000 visites. Un succès qui a permis de donner vie à un autre projet : Clic & connect (développé pour la Banque des territoires par la MedNum, WeTechCare et Archipel&Co). Il s’agit également d’un site et d’un numéro de téléphone, dédiés cette fois à un public dont les besoins sont peu couverts par les initiatives existantes : les TPE et artisans qui travaillent sans site web, parfois sans adresse email et sans réseaux sociaux. Alors que beaucoup de restaurants ont pu mettre en place le cliquer-collecter lors du deuxième confinement, cette population restait en grande partie invisible.
« Ces approches apportent un renouveau du métier de médiateur »
Structurer la montée en compétences et en qualité
« Lieu physique ou non, toutes ces approches sont complémentaires. Elles apportent un renouveau dans le secteur de l’accompagnement, mais aussi un renouveau du métier lui-même », constate Nicolas Turcat de la Banque des Territoires. En structurant le secteur de la médiation numérique qui est extrêmement éclaté et peu professionnalisé, mais surtout peu reconnu, ces initiatives contribuent en effet à professionnaliser et transformer le métier. Des secrétariats de mairie aux cybercafés en passant par les antennes de quartier et les agences Pôle Emploi, de nombreuses personnes font chaque jour de la médiation numérique « sans le savoir », avec les moyens et les connaissances dont elles disposent. Dans ce contexte, les hubs d’inclusion numérique ont vocation à former les médiateurs, répondre à leurs problématiques et diffuser les bonnes pratiques, les maisons France Services travaillent l’expérience client (sondages, enquête mystère, « bornes smileys »…) pour atteindre des taux de satisfaction de plus de 80% sur le baromètre Marianne, tandis que du côté de la MedNum, on forme et on évalue les répondants téléphoniques sur la posture d’écoute ou encore la politesse.
Du côté d’#Aptic, un référentiel détaillé de services a été créé, que les lieux de médiation doivent renseigner avant de pouvoir être intégrés dans le réseau des lieux associés au Pass numérique. Cela standardise les pratiques et exige souvent de monter en gamme, mais c’est aussi le gage d’une orientation qualifiée qui bénéficie à l’ensemble des parties prenantes : les personnes qui utilisent leurs pass savent qu’elles vont être bien accueillies et accompagnées de manière adéquate, les investisseurs du système savent qu’il y a un impact social réel, mesuré à travers le taux d’usage et bientôt le taux de satisfaction, et enfin les lieux savent que leur fréquentation va augmenter, ce qui va pérenniser leur existence.
Développer des modèles économiques pérennes
Acteurs publics, structures privés, formats pointus tels que la SCIC… : on observe une hybridation croissante des modèles autour des questions d’inclusion numérique. Cette tendance de fond reflète une évolution majeure du secteur de l’ESS de manière générale : l’exigence de trouver des modèles économiques hors de la traditionnelle subvention, et de démontrer l’impact sociétal, pour être ensuite soutenu et accéléré par la puissance publique.
« Nous voulons favoriser la convergence des sphères publique et privée »
A la MedNum, les données remontées du terrain permettent de mesurer la satisfaction des utilisateurs et cartographier la fragilité numérique, mais aussi de proposer des services toujours plus pertinents et donc rentables. Chez #Aptic, le taux d’usage des différents services de médiation numérique permet de savoir combien de personnes ont été accompagnées, suivre la pertinence de l’offre mais aussi… aller chercher de nouvelles sources de financement ! Des collectivités territoriales aux entreprises de téléphonie mobile, de bancassurance ou d’énergie, « tous dématérialisent des démarches, tous ont intérêt à ce que le numérique soit maîtrisé bien plus largement. Ça devient réellement un objectif collectif, alors chacun fait sa part », résume Gérald Elbaze.
« Les sphères publique et privée se nourrissent ainsi l’une l’autre sur des sujets d’utilité sociale, au sein d’un écosystème plus cohérent. Et la Banque des Territoires entend favoriser cette convergence », affirme Nicolas Turcat. En effet, de sa propre initiative ou mandatée par l’Etat, la Banque des Territoires va tour à tour accélérer l’interconnexion de dispositifs complémentaires de médiation au sein des hubs d’inclusion numérique, financer l’émergence ou accompagner le déploiement à grande échelle de projets à impact dans le secteur de l’ESS, s’engager dans ces structures à travers des titres de participation ou des parts sociales, opérer des dispositifs d’animation territoriale ou encore mettre en œuvre des partenariats d’action avec certains acteurs.
Nicolas Turcat
Responsable du service « éducation, inclusion et services au public » à la direction de l’investissement à la Banque des territoires
Actuellement en charge de l’éducation, l’inclusion et services au public au sein de de la direction de l’investissement : investissements en fonds propres (administrateur SIC #APTIC opérateur du pass numérique) ; structuration de l'écosystème edtech ; accompagnement des politiques publiques (ex. compétences numériques, Hubs territoriaux pour un numérique inclusif, France Services) ; et appui à la mise en œuvre métiers des mandats de la Caisse des Dépôts (PIA, ou plan de Relance).