Adaptation au changement climatique : les experts du HCC préconisent un "changement d'échelle"

Dans son rapport annuel 2024 publié ce 20 juin, le Haut Conseil pour le climat (HCC) salue les progrès de la France dans la réduction des émissions de CO2 mais prône un "changement d'échelle dans l'adaptation" au changement climatique et s'inquiète du retard de certains textes importants, encore accru par la dissolution.

"Il devient crucial que l'action climatique protège efficacement les enfants, les ménages et les entreprises. Malgré des avancées importantes, les efforts d'adaptation restent en décalage par rapport aux vulnérabilités et aux besoins", a jugé la présidente du Haut Conseil pour le climat (HCC), la climatologue franco-canadienne Corinne Le Quéré, lors d'une présentation à la presse du rapport annuel de l'organisme ce 20 juin.

Le document de plus de 230 pages rédigé par un panel d'experts prône un "changement d'échelle dans l'adaptation". L'année passée s'est classée au deuxième rang des années les plus chaudes en France et le pays a connu ces dernières années un manque d'eau localement à cause de la sécheresse, des feux géants dévastateurs, des canicules, orages intenses et inondations.

Dans l'attente du Plan national d'adaptation au changement climatique

Le gouvernement de Gabriel Attal était justement en train de préparer le troisième Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC-3), fondé sur l'hypothèse d'un réchauffement de 4°C en France d'ici à la fin du siècle (contre 1,7°C à ce jour). Mais le processus de mise en consultation a traîné et celle-ci est désormais suspendue à la majorité et au gouvernement qui émergeront des élections législatives des 30 juin et 7 juillet.

Le HCC, parmi 65 recommandations, demande donc de "finaliser rapidement et adopter" ce texte, comme d'autres qui structurent l'action du gouvernement en matière climatique, la stratégie nationale bas carbone (SNBC) ou la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). C'est "urgent afin de donner à chaque acteur la visibilité nécessaire pour agir en cohérence dans la durée", presse Corinne Le Quéré.

Pour l'exécutif, attaché à sa planification écologique, le contenu des feuilles de route en matière d'énergie et de neutralité carbone est "déjà sur la table" à défaut d'avoir encore été formalisé juridiquement. Quant au plan d'adaptation, il est "bien prêt", fait-on valoir.

Un rythme de décarbonation qui s'est accéléré

"Le rythme de décarbonation de la France, avec une baisse des émissions brutes de gaz à effet de serre qui s'est accélérée en 2023, se rapproche pour la première fois du rythme attendu pour atteindre ses objectifs climatiques 2030", salue le rapport annuel du HCC. La France prévoit une baisse de 50% des émissions brutes à cet horizon (par rapport à 1990), déclinaison de l'ambition européenne "Fit for 55". À un horizon plus lointain, le Haut Conseil réclame "un cap clair pour la décennie 2030-2040, pour se doter de la capacité d'atteindre la neutralité carbone d'ici 2050".

L'an dernier, les émissions brutes ont reculé de 5,8%, ce qui s'explique pour au moins un tiers par des facteurs conjoncturels comme le redémarrage de réacteurs nucléaires. Jusqu'aux deux tiers de cette baisse peuvent à l'inverse être attribués aux politiques publiques, selon le rapport.

"Recul de l'action publique climatique" dans l'agriculture

Le HCC salue des "avancées importantes mais inégales" dans les politiques menées, avec quelques reculs, notamment pour l'agriculture. Ce secteur, qui représente 20% des émissions brutes nationales, "souffre d'un manque de cohérence entre les politiques agricoles, alimentaires, environnementales et climatiques", regrette Corinne Le Quéré. "Les politiques agricoles ont été marquées ces 12 derniers mois par un recul de l'action publique climatique", déplore le rapport, allusion notamment aux réponses aux mouvements de colère agricole du début d'année. Parmi ses nouvelles recommandations, le HCC recommande notamment d’"orienter prioritairement le soutien à l’élevage vers les systèmes herbagers, de polyculture-élevage et agroécologiques qui sont bénéfiques pour le stockage de carbone, la conservation des sols et des ressources en eau, la préservation de la biodiversité, le bien-être animal et l’adaptation au changement climatique, et qui font face à des difficultés économiques importantes".

Les transports entament leur trajectoire

Après avoir pris "beaucoup de retard", le secteur des transports — qui représente 34 % des émissions nationales de gaz à effet de serre — "entame" sa trajectoire de décarbonation. Mais pour accélérer le rythme de baisse de ses émissions, le HCC recommande "une plus grande cohérence d’ensemble". Si l’électrification des véhicules particuliers est "en bonne voie" — avec des "aides mieux ciblées vers les véhicules moins lourds et moins chers" — l’accès des véhicules légers électriques reste encore à améliorer en particulier dans le marché d’occasion, comme l'a récemment souligné une étude de France Stratégie (lire notre article). Pour y parvenir, le HCC appelle le gouvernement à "s’assurer du respect des obligations d’électrification prévues pour les flottes de plus de 100 véhicules uniquement avec des véhicules zéro émission". Autre axe d’amélioration : le report modal et la maîtrise de la demande en transports. Le HCC dépeint notamment un "manque d’investissements" dans les transports collectifs, appelle à décarboner les flottes de transport de marchandises, et recommande de "limiter le développement des projets autoroutiers qui entraînent une hausse du trafic automobile". 

Fragilisés par le changement climatique, les puits de carbone "ne bénéficient pas d’un soutien permettant de garantir le renouvellement des écosystèmes forestiers", relève aussi le HCC qui appelle à l’adoption en urgence d’un plan national de renouvellement forestier et de stockage de carbone dans les sols et la biomasse agricole.

Incertitudes dans le secteur de l'énergie

Dans le secteur de l'énergie, qui représente 10% des émissions de gaz à effet de serre nationales, le décalage des calendriers de publication de la loi de programmation énergie-climat et de la programmation pluriannuelle de l'énergie a un "impact fort" sur la mise en œuvre opérationnelle des politiques énergétiques. La stratégie de renouvellement du parc nucléaire actuel, vu la forte incertitude industrielle du secteur "fait peser des risques sur la disponibilité en électricité décarbonée à horizon 2035", qui sont "insuffisamment compensés par la croissance des énergies renouvelables". Par ailleurs, le HCC regrette que "la sortie du gaz" ne fasse l’objet d’aucune stratégie précise, et rappelle que "le développement du GNL n’est pas cohérent" avec les objectifs climatiques.

La décarbonation de l'industrie (17 % des émissions de gaz à effet de serre nationales) est "engagée" à travers une stratégie qui s'appuie sur les acteurs des filières. "Néanmoins, pointe le HCC, la stratégie globale manque de projection en points d’étape intermédiaires et souffre d’un déficit d’identification des barrières pouvant limiter le déploiement de solutions (par exemple, l’évolution des métiers et formations) pour un horizon très rapproché dans un secteur à forte inertie".

Bâtiment : pas assez d'isolation des logements

Le bâtiment, qui est l’origine de 16 % des émissions de gaz à effet de serre, poursuit sa décarbonation mais "les politiques actuelles n’enclenchent pas les transformations nécessaires" à l’atteinte de la neutralité carbone. Les aides sont trop centrées sur les mono gestes de rénovation et l’électrification du chauffage, au détriment de l’isolation des logements, regrette le HCC qui juge cette dernière "nécessaire" à l’atteinte de la neutralité carbone et à la réduction de la précarité énergétique, laquelle "continue d’augmenter".

La première mandature de l'organisme indépendant, chargé d'évaluer l'action publique en matière de climat depuis 2018 durant le premier mandat d'Emmanuel Macron, devait s'achever le 24 juin. Une nouvelle mandature a été lancée ce jeudi avec la nomination par décret du Premier ministre d'un nouveau président du HCC, l'agronome Jean-François Soussana, et l'arrivée de quatre nouveaux membres.