Sobriété foncière : le "oui mais…" des Français

Une large majorité des Français adhèrent à la lutte contre l'artificialisation mais si l'idée de densification urbaine leur semble bonne, ils préfèreraient qu'elle se concrétise ailleurs que chez eux, selon les résultats d'une enquête OpinionWay pour l'Ordre des géomètres-experts dévoilés ce 26 juin. Pour près de 70% des personnes interrogées, la maison individuelle en milieu rural ou périurbain reste le cadre de vie préféré.

En prélude aux Assises nationales de la sobriété foncière  qu'il organise en simultané les 3 et 4 juillet prochains dans quatre villes*, l'Ordre des géomètres-experts a souhaité prendre le pouls de l'opinion sur sa connaissance des enjeux liés à ce sujet et sur l'acceptabilité des mesures nécessaires dans le cadre de cette trajectoire. Présentés ce 26 juin, les résultats de cette enquête réalisée par OpinionWay** traduisent d'abord un niveau de connaissance assez hétérogène de la notion d'artificialisation. Si plus de la moitié des sondés (61%) déclarent connaître le terme, un petit tiers seulement (32%) prétend bien voir de quoi il s'agit. Ceux qui en ont connaissance associent d'abord l'artificialisation à l'étalement urbain et à la bétonisation devant l'urbanisation, l'imperméabilisation des sols et la diminution des espaces verts. Globalement, l'imperméabilisation des sols est mentionnée par 26% des Français, derrière la diminution des espaces verts (30%) tandis que la pollution des sols n'est évoquée que par un sondé sur dix.

Des surfaces végétalisées presque toujours qualifiées de "naturelles"

Les personnes interrogées qualifient également de "naturelles" la plupart des surfaces végétalisées. C'est le cas pour les parcs ou jardins publics (82% des répondants) et le jardin privé associé à une maison pavillonnaire (79%), voire même les cimetières végétalisés (68%). Dans une moindre mesure, environ 6 Français sur 10 considèrent comme naturels les espaces végétalisés intégrés à des constructions : espaces verts d’un ensemble d’immeubles collectifs (62%), pelouse plantée d’arbres dans une zone d’activités commerciales (60%) ou encore cour de récréation végétalisée (57%).Seul le terrain de football engazonné est majoritairement considéré comme artificiel (42% indiquent qu'il s'agit d'une surface naturelle). Une majorité écrasante de sondés (90%) se disent en outre favorables à des mesures visant à planter de la végétation dans les villes et villages pour les rafraichir, préserver et reconquérir la biodiversité. Cette opinion domine dans toutes les catégories de population.

La densification urbaine...chez les autres

Interrogés sur leur adhésion à la lutte contre l'artificialisation, les Français se disent tout d'abord largement favorables à la loi "Climat et Résilience" de 2021 concernant la densification urbaine et l'arrêt des constructions sur les espaces naturels et agricoles (81% dont 28% de "très favorables"). Sur le même principe, les sondés se disent favorables à une plus grande densité urbaine dans les îlots urbains qui bénéficient de jardins privés (73%, dont 23% "très favorable").

Mais si l’idée de densification urbaine leur semble bonne, ils préfèreraient qu’elle se concrétise ailleurs que chez eux. Lorsqu’on leur demande de se projeter dans la situation où une nouvelle construction devrait s’implanter à proximité de leur jardin privé, un peu plus de la moitié des personnes interrogées (52%) auraient alors envie de déménager. Bruno Jeanbart, vice-président d'OpinionWay, note sur ce point, "une réaction uniforme quel que soit le profil interrogé (sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle, taille d’agglomération)" avec "seulement une légère tendance à une meilleure acceptation en Île-de-France" (45%). Au total, 20% des Français accepteraient la situation par conscience des enjeux de limitation de l’espace urbain.

Dans le cas où un immeuble se construisait en face de leur logement en les privant de leur vue actuelle, 73% des personnes interrogées estiment que cela les inciterait à déménager tandis que 27% trouveraient cela normal. "Certains profils ont une réaction particulièrement vive : les 65 ans et plus (87%), que l’on savait déjà très attachés à la vue, mais aussi les résidents de logements anciens (78%) et les habitants de quartiers ruraux (80%)" et ceux qui n’avaient pourtant pas prévu de changer de logement à moyen terme (78%), commente Bruno Jeanbart. À l’opposé, les moins de 50 ans (36%), les CSP+ (34%), les résidents dans des logements neufs (45%) et en ville (34% en centre-ville et en quartier proche centre-ville) "sont un peu plus enclins à trouver cela 'normal'".

L'éternel attrait pour la maison individuelle

Conscients de l'enjeu de sobriété foncière, les sondés se disent toutefois prêts à résider en zone urbaine, avec une préférence pour le centre-ville d’une agglomération (48% des réponses) ou sa périphérie (48%), plutôt que pour le centre bourg d’une commune rurale (36%) ou sa périphérie en lotissement (9%). Un sur cinq préfère néanmoins un endroit isolé pour vivre et cette proportion est plus forte chez les actuels ruraux (38%).

Également questionnés sur les types d’habitat qu’ils privilégient dans l'idéal, ils placent en tête la maison en zone rurale (35%) devant le pavillon en zone périurbaine (23%) puis la maison en métropole avec un jardin (18%). L’appartement en centre-ville ne récolte que 12% des suffrages, devant celui en zone périurbaine à proximité d’espaces verts (10%). Ces choix d'habitat varient légèrement si les sondés prennent en compte la limitation de l’utilisation de terres agricoles pour l’urbanisation : dans ce cas, la maison neuve ou rénovée avec un jardin ou un accès à un espace vert en zone périurbaine arrive en tête pour 36% d'entre eux, devant une maison avec jardin en centre-ville (26%), une maison neuve avec jardin en centre bourg de commune rurale (25%) et un appartement en centre-ville d’agglomération (22%).

L’accès à la nature et aux espaces verts reste un élément important dans le cadre de vie idéal des répondants et constitue la première condition qui faciliterait l’acceptation personnelle d’une augmentation du nombre de logements et de bâtiments dans leur quartier (à 36%, auxquels s’ajoutent 31% pour la renaturation d’espaces publics urbains). L’augmentation des services proposés aux habitants arrive juste derrière avec 29% d'opinions favorables.

Lutte contre le réchauffement : une "vision technocratique" pour une personne sur deux

60% des sondés estiment que densifier les villes pour lutter contre le réchauffement climatique est une bonne chose. Mais la densification des espaces déjà urbanisés apparaît comme la proposition la moins efficace pour lutter contre le dérèglement climatique (9% seulement des citations). Les Français lui préfèrent d’autres solutions comme intégrer des énergies renouvelables dans les constructions (39%), créer des espaces verts et des infrastructures végétalisées (33%), favoriser l’agriculture durable et de proximité (30%), diminuer l’extension de l’urbanisation sur les espaces naturels (29%) ou promouvoir les transports durables et les mobilités douces (27%, dont 38 % en Île-de-France). Une personne interrogée sur deux estime, par ailleurs, que la lutte contre le réchauffement climatique relève d'"une vision technocratique" et constitue un "handicap pour le développement de l'économie et la croissance" (49% des sondés).

Vers une territorialisation de la mise en œuvre de la sobriété foncière ?

S’il n’est pas encore popularisé, ce sujet de la lutte contre l’artificialisation est jugé "clivant" dans l’opinion et "potentiellement sensible dans les années à venir", constate Bruno Jeanbart. "Les principes qui le guident font consensus, mais leur mise en œuvre concrète peut susciter beaucoup d’oppositions car elle implique de faire des choix contraires à la manière dont les Français voudraient idéalement vivre demain", conclut-il, alertant également les pouvoirs publics sur la différence de perception de cette question entre les habitants des villes et ceux des territoires périurbains ou ruraux. Selon lui, la territorialisation de la mise en œuvre de la sobriété foncière plutôt que l’adoption de grandes mesures nationales peut être une voie de passage à privilégier. 

L’Ordre des géomètres-experts partage ce point de vue et compte d'ailleurs lors de ses prochaines Assises nationales de la sobriété foncière "faire des propositions dans le contexte législatif et réglementaire actuel", affirme Séverine Vernet, présidente du Conseil supérieur de l’ordre. En tant qu'"intermédiaires entre les particuliers et les décideurs publics", les géomètres-experts "ont à cœur de poursuivre ce rôle de médiateur utile pour retisser un lien entre acteurs de la société et ceux au pouvoir" pour "proposer des outils pour déployer une stratégie foncière tout en continuant à créer un cadre de vie humainement acceptable et durable", assure-t-elle. 

*Aix-en-Provence pour la sobriété foncière en zone urbaine, Fort-de-France pour la sobriété foncière en zone forestière et la protection de la biodiversité, Epernay pour la sobriété foncière en zone périurbaine et rurale et La Rochelle pour la sobriété foncière en zone littorale

** Sondage réalisé du 14 au 17 juin auprès d'un échantillon de 1.004 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus constitué selon la méthode des quotas.

 

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