Service universel des télécommunications : quel niveau d’ambition ?
Internet fait désormais partie du service universel des communications électroniques. Reste à en définir le débit minimal, fixé par les États, objet d’une consultation lancée par le gouvernement le 6 octobre 2021. Un sujet débattu à Saint-Étienne à l’occasion de l’Université du THD, co-organisée par InfraNum et l'Avicca. Si certains y voient l’opportunité de créer un fonds dédié "au 100% fibre", il n’est pas certain que le cadre européen du service universel soit le bon véhicule.
Retranscrit en droit français il y a un an dans la loi Daddue et objet d’un décret daté du 21 août 2021, le nouveau service universel (SU) des télécommunications n’est pas près de voir le jour. Orange a du reste été missionné par le gouvernement pour assurer la transition d’ici à 2023 avec un périmètre de service universel cantonné aux services voix/cuivre. La notion d’accès à internet pour tous, principale avancée du nouveau cadre européen, doit en effet être clarifiée au préalable. Un dossier complexe, car comme l’a précisé Jean-Pierre Labé de la direction générale des entreprises (DGE), "on passe d’un seul réseau, amorti et détenu par un seul opérateur, à des dizaines de nouveaux réseaux et d’opérateurs". La consultation lancée par la DGE le 6 octobre 2021 vise à répondre à une question clé : la fixation du niveau minimal de débit garanti à l’ensemble des Français pour "un prix abordable", selon les termes de la directive.
Financer le 100% fibre ?
Certains voudraient voir dans le nouveau SU un moyen de mutualiser le financement des raccordements fibre "longs ou complexes" et permettre d’atteindre l’objectif gouvernemental du 100% fibre pour tous. Car passer de 95% de foyers raccordables à 100% va coûter cher et les 150 millions débloqués par le gouvernement n’y suffiront pas. "Sur la base de 1.500 euros la prise, on couvre 100.000 foyers. Or le besoin porte sur 1,5 à 2 millions de foyers", calcule Lionel Recorbet, président de XP fibre, la nouvelle entité infrastructure fibre du groupe SFR. Avec une appréciation quelque peu élastique des raccordements longs puisqu’il s’agirait de "tous ceux où il faut plus d’une bobine de fil et d’un matériel de soudure… ". Une définition qui pourrait arranger certains opérateurs privés qui peinent à finir le travail dans les zones privées (Amii et zones très denses) où le marché tend naturellement vers le 100% fibre.
Un fonds pour aider à la maintenance des réseaux ?
Jean-Louis Chauvin, directeur du syndicat mixte Doubs THD, ne s’est du reste pas privé de faire la démonstration que le 100% fibre pour tous c’était possible. "Sur notre territoire, qui compte 40% de forêt et un relief important, nous avons un taux de raccordements à la demande de 1%". Dit autrement, 99% des foyers peuvent s’abonner à la fibre auprès d’un opérateur commercial. Et de souligner que le SU est un sujet moins prioritaire que l’aménagement du cadre existant pour faciliter les déploiements (objet d’un prochain article). Le fonds du SU serait finalement avant tout un sujet post-déploiement, dédié à la vie du réseau. "Dans la Loire, nous estimons que l’entretien du nouveau réseau FTTH – élagage, réparations, petites extensions… – va nous coûter 5 à 6 millions d’euros par an. S’il n’y a pas d’aide ce sera difficile", a plaidé Marc Chavanne, vice-président du SIEL, le syndicat intercommunal d'énergies de la Loire qui a achevé la desserte FTTH, là où la couverture des zones Amii patine. En pratique, l’élu imagine l’équivalent du fonds d'amortissement des charges d'électrification (Facé), qui intervient sur les réseaux électriques, pour aider les territoires dans cette mission.
Neutralité technologique de la directive
Si intéressantes que soient ces pistes, elles pourraient cependant se révéler hors sujet. La directive européenne est en effet très claire : il s’agit d’une garantie d’accès à des services (moteurs de recherche, banque, formalités…) et non d’une obligation de moyens ou de technologie. "Les opérateurs hertziens ou satellitaires pourraient nous attaquer si nous les écartions", a alerté le responsable de la DGE. "Sauf si le texte spécifie que le service garantit des débits symétriques [que la fibre est seule à même d’apporter], indispensables au télétravail et à l’éducation à distance", a lancé David El Fassy, président d’Altitude infrastructure. Ce ne sont en tous cas pas les hypothèses sur lesquelles travaille l’Arcep aujourd’hui. Consulté par le gouvernement, l’Autorité a estimé qu’"après un premier temps où le service universel pourrait correspondre à un débit descendant de 8Mbit/s, ce niveau de débit pourrait dans le futur, au fur et à mesure des déploiements de réseaux et au regard de la réalisation des objectifs du Plan France Très Haut Débit, être revu à la hausse par le gouvernement, pour être fixé à 30Mbit/s puis, le cas échéant, à 100Mbit/s".
Opérateurs SU locaux ?
Outre le débit, le mode opératoire du SU doit par ailleurs être formalisé. Car à la différence du système antérieur, le texte européen introduit la possibilité d’avoir plusieurs opérateurs de SU, voire d’avoir des opérateurs SU locaux. Si XP fibre imagine un groupement d'intérêt économique (GIE) national associant opérateurs et pouvoirs publics, les collectivités insistent sur la nécessité d’un système au plus près du terrain avec des dotations versées directement à l’opérateur d’infrastructure ayant construit le réseau. Quant au déclenchement de l’aide, un dispositif de guichet national (il existe du reste déjà) a été évoqué, la solution proposée à l’usager ne pouvant cependant reposer sur une seule technologie. Et si la fibre devrait désormais fait partie du catalogue des solutions proposées, le mécanisme de subventionnement s’avère autrement plus complexe à arrêter. Car autant un kit satellitaire est facile à financer et à installer, autant une aide à un raccordement "long" ou "complexe" nécessitera une étude préalable et un barème adapté aux spécificités des territoires.
La consultation du gouvernement devrait permettre de mieux comprendre les attentes des acteurs sur le débit minimal et l’organisation du nouveau SU, sa mise en œuvre n’étant pas envisageable avant la prochaine mandature. D’ici là, peu de candidats à l’élection présidentielle devraient se dédire de l’engagement, réaffirmé par le secrétaire d’État aux communications électroniques Cédric O à Saint-Étienne, du 100% fibre pour tous.