Pas de vacances pour les maires
La période estivale est rarement de tout repos pour les collectivités, particulièrement pour celles qui font face à un afflux de touristes. Les maires doivent parfois redoubler d’efforts pour protéger l’environnement, prévenir les accidents, assurer la tranquillité et la sécurité des touristes et celle de leurs administrés, parfois singulièrement celle de ces derniers face aux nuisances des premiers. Sans compter que croyances ne riment pas toujours avec vacances. L’été a donc été riche en arrêtés municipaux. Souvent de facture très classique. Parfois plus originaux, contribuant à animer les gazettes et, parfois, les tribunaux, comme à Angoulême, Mandelieu-la-Napoule ou encore Nice.
Protéger l’environnement
• Après un été 2022 marqué par les incendies, les maires ont été particulièrement attentifs à limiter les risques. Pour exemple, relevons ainsi le récent arrêté du maire de Banyuls-sur-Mer (Pyrénées-Orientales) du 18 août restreignant l’accès aux massifs forestiers de la commune, "le maire [étant] chargé de prévenir les incendies par des précautions convenables". La circulation et le stationnement "sur l’ensemble des pistes non revêtues et des sentiers" y sont ainsi interdits jusqu’au 15 septembre pour tout véhicule à moteur. Toute circulation, "qu’elle soit à pied, à cheval, à vélo ou via tout autre véhicule" y est également bannie "quand la zone météorologique correspondante est affichée en risqué élevé (orange) ou en risque exceptionnel (rouge)" (risque incendie consultable la veille sur www.prevention-incendie66.com).
Prévenir les accidents… et leurs conséquences
• Les maires sont également soucieux de protéger leurs concitoyens. Durement touché par les incendies de l’an passé, le massif forestier de la Teste-de-Buch (Gironde) voit lui aussi son accès fortement limité à partir du 1erseptembre, par arrêté du 4 août. Le maire entend toutefois protéger ici autant les usagers que le massif, le texte excipant du fait que "des arbres ou parties d’arbres calcinés tombent et/ou sont susceptibles de tomber" et du "risque imminent de blessures graves résultant de cette situation". La région est loin d’avoir payé la note de l’an passé.
• Les élus doivent composer avec l’ensemble des éléments naturels. Comme le vent. Anticipant les difficultés, le maire de Granville (Manche) a pris un arrêté le 1er août disposant que "par précaution, suivant les conditions météorologiques (tempête)", certaines promenades "seront susceptibles d’être interdites au public à partir du mercredi 2 août 2023 et jusqu’à nouvel ordre". Ou l’eau. Parmi d’autres, le maire de Rognac (Bouches-du-Rhône) a ainsi été conduit à interdire à plusieurs reprises la baignade sur sa commune, tantôt "pour des raisons météorologiques" (arrêté du 25 août), tantôt pour des motifs de santé publique, "en raison de l’altération de la qualité de l’eau, au vu des fortes chaleurs" (arrêté du 20 juillet). Toujours pour des motifs de santé publique, le maire du Verdon-sur-Mer (Gironde) a dû lui prendre un arrêté d’interdiction temporaire de la baignade sur une plage de la commune compte tenu d’une contamination de l’eau par la bactérie E.coli (arrêté abrogé depuis).
• Autre source de motivation pour les élus, légitime : assurer leurs arrières, en évitant l’engagement de leur responsabilité en cas d’accident. Ainsi par exemple de l’arrêté estival du maire de Châteaudouble (Var) rapporté par la presse, qui interdit l’escalade sur la commune au motif du déconventionnement de la falaise par la Fédération française de la montagne et de l’escalade.
Assurer sûreté, sécurité et tranquillité publiques
• L’afflux de touristes ne va pas sans nuisances. La police municipale ayant notamment pour objet "d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques", le maire se doit d’intervenir notamment pour "réprimer les atteintes à la tranquillité publique". En la matière, le maire de Le Crotoy (Somme) a pris les devants par arrêté du 3 avril disposant qu’ "à compter du 1er juin 2023, les propriétaires, directeurs ou gérants de campings situés intra-muros en agglomération de Le Crotoy doivent prendre toutes les mesures utiles pour que les bruits émanant de leurs locaux et ceux résultant de leur exploitation ne soient pas gênants pour le voisinage et cessent à partir de 22h00 et jusqu’à 8h00 le lendemain (semaine et week-end compris)".
• Le code général des collectivités territoriales dispose également que la police municipale comprend "tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques". Le texte ne vise ici que des "dépôts, déversements, déjections, projections de toute matière ou objet", sans envisager le fait qu’une personne puisse constituer une entrave à la commodité du passage. Mais certains maires ont franchi le pas.
. Ainsi, pour faire face à "une persistance d’attitudes contraires à un usage normal des rues, places et autres lieux publics", singulièrement "devant certains commerces aux horaires de fermeture tardive et au niveau d’entrées d’immeubles d’habitation", le maire de La Rochelle (Charente-Maritime), par arrêté du 20 juin, a interdit de 9h00 à 22h00, sur une partie du territoire rochelais, "toutes occupations des rues, espaces publics et autres dépendances domaniales […], accompagnées ou non de sollicitations ou quêtes à l’égard des passants, lorsqu’elles sont de nature à entraver la libre-circulation des personnes".
. Quelques jours plus tard, son homologue d’Angoulême faisait de même, en interdisant par arrêté du 11 juillet, dans certaines rues et certains espaces publics de la ville, "toute occupation abusive et prolongée, accompagnée ou non de sollicitations ou quêtes à l’égard des passants, lorsqu’elle est de nature à porter atteinte à la tranquillité publique et au bon ordre public". L’édile est toutefois allé plus loin en interdisant également "la station assise ou allongée lorsqu’elle constitue une entrave à la circulation des piétons et à l’accès aux immeubles riverains des voies publiques, ainsi que la station debout lorsqu’elle entrave manifestement la circulation des personnes, la commodité de passage, la sureté des voies et espaces publics" ; et ce, "du lundi au dimanche de 10h à 21h sur la période de novembre à mars et de 10h à 2h sur la période d’avril à octobre", pour une durée d’un an.
Rapidement dénoncé comme un arrêté "anti-SDF", "anti-marginaux", ou "assis debout couché", le texte a défrayé la chronique. Pour ses détracteurs, il s’inscrit dans le droit fil des "arrêtés anti-mendicité", qui ont naguère connu leur heure de gloire (v. notre article du 29 juin 2018), ce dont se défend la municipalité : "Quelqu’un faisant la manche sans gêner l’espace public ne pose aucun problème. Une personne allongée en pleine rue piétonne, si", argue ainsi l’adjoint au maire Jean-Philippe Pousset, interrogé par le Midi Libre. Reste que, saisi par la Ligue des droits de l’Homme, le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers a suspendu, partiellement, l’arrêté par ordonnance du 7 août (singulièrement les dispositions relatives à la station assise ou allongée).
• Différentes motivations sont évidemment conciliables. Ainsi, à la fois pour "assurer la commodité du passage dans les rues", "prévenir les rixes, le bruit et les tumultes, maintenir le bon ordre dans les endroits où se tiennent de grands rassemblements […]", le maire de Nice a, par arrêté en date du 14 juin, à nouveau réglementé la production des artistes de rue sur le territoire communal jusqu’au 31 octobre, allant jusqu’à l’interdiction de "toute production artistique" dans un certain périmètre (dont la promenade des Anglais). La suspension du texte, demandée par une association, a été rejetée par le juge des référés du tribunal administratif de Nice. S’ajoutent à l’arsenal un arrêté du 15 mai "portant interdiction de créer des bivouacs sur les secteurs dits sensibles et à fortes fréquentations de la ville et sur le domaine public maritime" et un arrêté du 5 juin "visant au maintien du bon ordre" dans certains lieux publics interdisant les regroupements de personnes sur le domaine public en certaines circonstances "lorsqu’ils troublent l’ordre public" (en gênant la libre circulation des piétons, générant des nuisances sonores, etc.).
• Relevons également que les arrêtés "anti-mendicité" n’ont pas disparu. Ainsi, par arrêté du 4 juillet, le maire de Nice a interdit cette dernière "sur les secteurs touristiques et à forte fréquentation de la ville et sur le domaine public maritime concédé lorsqu’elle trouble la tranquillité et la sécurité des personnes, entrave leur passage ou gêne la commodité de la circulation […]" ou "lorsqu’elle est effectuée en groupe ou de manière agressive", et plus généralement "lorsqu’elle occasionne une gêne pour la circulation routière".
• Côté ordre public, souvent invoqué, on a sans surprise retrouvé quelques sujets connus.
. Ainsi du port du burkini, qui a une fois de plus alimenté la chronique. Singulièrement à Mandelieu-la- Napoule (Alpes-Maritimes). Par arrêté du 7 juin, le maire y avait réglementé l’accès aux plages et à la baignade en interdisant leur accès "à toute personne ayant une tenue non respectueuse des règles d’hygiène et de sécurité" et "à toute personne dont la tenue est susceptible d’entrainer, à l’instar des années 2012 et 2016, des troubles à l’ordre public, voire des affrontements violents" et en interdisant l’accès à la seule baignade "à toute personne dont la tenue est susceptible d’entraver ses mouvements et de compliquer les opérations de sauvetage en cas de noyade". Un arrêté pris "depuis 2012", a souligné le maire, mais qui a cette fois été contesté par la Ligue des droits de l’Homme. Sans succès dans un premier temps, le juge des référés du tribunal administratif de Nice ayant rejeté sa demande de suspension par ordonnance du 3 juillet. Avant de l’emporter dans un second temps devant le Conseil d’État. Après avoir estimé qu’il "est constant que, par cet arrêté, le maire de Mandelieu-la-Napoule a entendu prohiber, sur les plages de la commune, le port de tenues manifestant de façon ostensible une appartenance religieuse", le juge du Palais-Royal a en effet annulé l’arrêté par une décision du 17 juillet, considérant que "ni ces incidents qui ont eu lieu, respectivement, il y a onze et sept ans, ni le contexte de menace terroriste persistante, ne sont susceptibles de faire apparaître que l'interdiction sur l'ensemble des plages de la commune de tenues manifestant de manière ostensible une appartenance religieuse serait, à la date à laquelle a été pris l'arrêté contesté, justifiée par des risques avérés de troubles à l'ordre public". Il a par ailleurs estimé que la commune n'apportait "aucun élément relatif à un risque pour l'hygiène ou la sécurité des usagers de la plage et des baigneurs qui serait lié, par nature, au port, de telles tenues". À noter qu’un arrêté du maire de Fréjus du 1er août interdisant le port d’une tenue couvrante et ample lors des baignades a par ailleurs été suspendu par le juge des référés du tribunal administratif de Toulon.
. On relèvera également le retour (v. notre article du 7 janvier 2014) des arrêtés interdisant le nouveau spectacle de Dieudonné, pris notamment par les maires de Grenoble, Lyon, Montpellier, Besançon ou encore Nice. La presse rapporte que cette dernière avait pris un arrêté début juin pour interdire la tenue d’un déjeuner-littéraire animé par Tarik Ramadan, suspendu par le juge des référés du tribunal administratif de Nice le 3 juin.
Protéger ses administrés
• Source de revenus, le tourisme n’est pas sans revers pour les autochtones, qui peinent notamment à se loger dans les villes plus attractives. La tendance est à la réglementation des meublés touristiques. Le conseil communautaire de la communauté d’agglomération du Grand Annecy a récemment œuvré en ce sens, en durcissant en février dernier, pour chaque commune, les conditions de délivrance des autorisations de changement d’usage de locaux d’habitation en meublés touristiques de courtes durées. Saisi, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble vient toutefois de prononcer, par deux ordonnances du 11 juillet, la suspension de ces délibérations, en considérant que deux moyens d’illégalité invoqués par les requérants sont de nature à créer un doute sérieux quant à leur légalité : le premier tiré de ce que ces règlements sont applicables aux personnes morales et pas seulement aux personnes physiques ; le second tiré de ce que les demandeurs des autorisations doivent prouver que le changement d’usage est autorisé par le règlement de copropriété.
• Autre tendance montante, la restriction de l’accès des piscines aux seuls résidents de la commune. Parmi d’autres, signalons cet arrêté du 7 juillet en ce sens du maire de Rognac restreignant l’accès au centre aquatique familial de sa commune, au motif "qu’en période de fortes chaleurs et pendant la période estivale", il "fait l’objet d’une forte affluence occasionnant de nombreuses incivilités, dégradations en tout genre et nuisances sonores". Pour justifier sa décision, le maire argue "des nombreuses atteintes aux biens et aux personnes au cours des derniers jours", difficultés qui "empêchent l’accès des usagers". Au passage, on relèvera que cette recrudescence des incivilités voire violences dans les piscines n’est pas propre à la France, le célèbre Columbiabad berlinois n’y échappant pas (v. l’article que Le Point lui a consacré cet été : "À la piscine de Columbiabad, une entaille au vivre-ensemble à l’allemande").
• Dans un registre dramatique, pour ne pas dire sordide, signalons enfin l’arrêté du maire du Vernet (Alpes de Haute-Provence), village marqué par la disparition du petit Émile, interdisant l’accès au public au hameau du Haut-Vernet, pris d’abord pour "protéger l’enquête", puis prorogé pour "protéger les familles et canaliser un éventuel tourisme de curiosité", selon les déclarations du maire à l’AFP.