L’État et la région Paca veulent ériger le golfe de Fos-Étang de Berre en modèle de décarbonation industrielle

Produire plus et polluer beaucoup moins : c'est l'énorme défi auquel l'Etat et la région Paca s'attèlent dans une "feuille de route" pour la décarbonation du golfe de Fos-Étang de Berre à horizon 2030. Une trajectoire qui s'appuie sur une tradition de coopération de plusieurs années entre élus et industriels atour de "l'écologue industrielle".

Les fumées crachées par les innombrables cheminées d’usines qui entourent la zone industrialoportuaire de Fos-sur-Mer appartiendront-elles bientôt au passé ? C’est en tout cas le défi colossal qu’entendent relever l’État, la région Paca et la métropole d’Aix-Marseille à travers la "feuille de route" signée jeudi 27 février pour concilier développement industriel et décarbonation du golfe de Fos-Étang de Berre à horizon 2030. Ce territoire de 155 km2 comporte 400 sites industriels dont 58 classés Seveso ; il représente à lui seul "un quart des émissions industrielles de CO2 en France et 40% des émissions régionales toutes sources confondues", est-il rappelé. Ce qui en fait le plus gros pôle d’émission de gaz à effet de serre avec celui Dunkerque. Tous deux sont lauréats de l'appel à projet "zones industrielles bas carbone" lancé par France 2030 (voir notre article du 17 janvier 2023). Un enjeu de réindustrialisation comme de santé publique pour les quelque 400.000 riverains. "On ne regarde pas les trains passer", a déclaré le président de la région devant une "agora" réunissant de nombreux industriels et élus à l’hôtel de région, en présence des ministres Marc Ferracci (Industrie) et Catherine Vautrin (Travail). Cette feuille de route est une "opportunité historique pour les habitants" et permettra de renforcer "la souveraineté industrielle dans des secteurs comme l’acier, la chimie, les nouveaux carburants, les aéronefs et les énergies renouvelables", a poursuivi Renaud Muselier, évoquant la décarbonation de ce qui constitue selon lui le "premier espace industriel d’Europe". "On vise les 80%", a-t-il dit. 

Quatre axes

La feuille de route, qui entend faire de la zone "l’avant-garde de l’industrie verte", repose sur quatre axes : "accroître l'attractivité économique et résidentielle", "renforcer les infrastructures et les réseaux d'utilités", "planifier un développement respectueux de l'environnement" (protection des espaces naturels, qualité de vie des habitants) et "mettre en place une gouvernance efficace impliquant élus, entreprises et acteurs publics". "Nous, on est prêts, on a nos projets, on sait où on veut aller, et on voudrait y aller le plus rapidement possible", a déclaré Martine Vassal, présidente de la métropole et du département des Bouches-du-Rhône, invoquant un État "facilitateur". "La décarbonation est obligatoire", a-t-elle souligné. Alors que les élus ont appelé l’État à s’engager financièrement, Marc Ferracci a répondu que la loi de finances 2025 récemment votée prévoit une enveloppe de "1,6 milliard d'euros de crédits d'engagements supplémentaires pour financer les grands projets de décarbonation". "On vous doit du soutien au niveau européen", a-t-il ajouté, plaidant pour une remise à plat de la taxe carbone aux frontières qui doit entrer en vigueur au 1er janvier 2027 mais qui "dans sa configuration actuelle ne fonctionne pas", a-t-il dit. "Rentrent en Europe des importations qui ne font pas d’effort de décarbonation de nos industriels", dans ces conditions, "ce sera très compliqué de créer de l’emploi industriel grâce à la décarbonation", a-t-il argué. Selon lui, la décarbonation "n’est pas seulement un engagement moral", c’est "rendre compatible les objectifs climatiques avec le développement économique".

"Un site d'exception"

Production d'énergies décarbonées (photovoltaïque, éolien flottant, hydrogène...), aciérie décarbonée et aux carburants durables… Une trentaine de projet sont en cours de développement pour un coût de 20 milliards d’euros. L’un des exemples les plus parlants est l’arrivée du groupe Carbon qui va installer une gigafactory de panneaux solaires sur le grand port maritime de Marseille à Fos-sur-Mer. Elle pourra sortir l’équivalent de 5 gigawatts par an, avec la mobilisation 3.000 emplois directs d’ici 2027 et 9.000 emplois indirects, a indiqué son PDG, Pierre-Emmanuel Martin. "C’est le seul projet européen qui intègre toutes les étapes clés de la fabrication de panneaux solaires : lingots, wafers, cellules et modules." Et c’est selon lui, "le seul projet qui pourra garantir, à terme, des modèles de performance et de compétitivité qui permettent de sortir d’une dépendance mortifère avec un seul fournisseur, aujourd’hui, la Chine, et peut-être demain les États-Unis et l’Inde qui sont en train de se réindustrialiser". Le projet a été qualifidé d’"intérêt national majeur" (PIINM) au sens de la loi Industrie verte, au même titre que la reprise du site d’Ascometal par l’italien Marcegaglia ou le projet GravitHY qui prévoit de révolutionner la réduction de fer nécessaire à la fabrication de l'acier, en remplaçant le carbone par de l’hydrogène.

Mais il fallait, pour accueillir cet énorme projet, "un site d’exception, il fallait un port maritime, un dégagement fluvial et demain, du ferré", a souligné l’industriel. Au-delà des solutions énergétiques, la feuille de route prévoit de gros investissements sur les infrastructures, les équipements publics et la construction de nouveaux logements pour accueillir les futurs salariés et leurs familles.

Pour Pierre-Emmanuel Martin, ce qui fait la force du territoire est le "pack" formé par les élus. "On m’avait dit qu’il y aurait souvent des chicaneries entre eux mais il y a eu un alignement extraordinaire."

Ecologie industrielle

Cet esprit collectif entre élus et industriels ressort fortement de cette feuille de route, rodée par une expérience de dix ans menée à travers huit opérations d’intérêt régional (OIR). Ce sont des "groupes co-leadés par deux personnes", dont l’idée est "d’amener les entreprises à se réunir, à rencontrer les acteurs du territoire et, sur ce territoire, d’essayer de mutualiser, de trouver ensemble des solutions pour assurer un développement durable", a expliqué Pascal Kuhn, directeur d’Airbus Helicopters, à Marignane. "Et ça marche." L’intérêt est aussi pour les petites entreprises d’avoir un accès facilité aux aides. "Si on s’en tenait aux purs chiffres de compétitivité et de rentabilité, on n’investirait plus dans le sud. Mais on continue d’investir parce qu’il y a cet écosystème, cette énergie, cette passion", a-t-il poursuivi.

Créée en 2014, l’association Piicto a aussi permis de créer un terreau favorable. Elle réunit quelque 60 industriels et les élus autour de "l’écologie industrielle". Elle participe au programme Syrius (Synergies régénératives industrielles Sud) financé à parts égales entre l’Ademe et les industriels, qui vise une réduction de plus de 80% des émissions de gaz à effet de serre, d’ici 2050, "grâce à un changement de mix énergétique, tout en préservant l’activité économique locale". Pendant vingt-quatre mois, ce programme, financé à hauteur de 8 millions d’euros, a permis de mener une vingtaine d’études sur la diversification du mix énergétique, l’hydrogène, la capture et la séquestration du carbone… "Les industriels sont tous motivés et impliqués dans des projets de décarbonation plus ou moins avancés. L’intérêt de Syrius est de mener des projets intersites, c’est d’aller encore plus loin ensemble pour trouver des solutions communes", souligne auprès de Localtis Nicolas Mat, coordinateur de Piicto, citant des exemples de récupération de la chaleur fatale, de captation du carbone (valorisation et séquestration géologique) ou de mutualisation de traitement des effluents. "Un écosystème comme celui-ci a besoin de s’appuyer sur les producteurs, les transporteurs, les stockistes et les consommateurs. Bref, toute la chaîne", souligne-t-il.

Ligne à très haute tension

Seulement, les besoins énergétiques futurs ne sont pas sans poser de problèmes. Pour y subvenir, RTE prévoit d’installer une ligne aérienne à très haute tension (THT) qui doit relier Jonquières-Saint-Vincent (Gard) à Fos-sur-Mer. Fin septembre, le préfet de région a validé le "Fuseau de moindre impact" (FMI) proposé par l'opérateur après concertation, qui prévoit l'installation de pas moins de 180 pylônes amenés à traverser une partie du parc naturel régional de la Camargue et la plaine de la Crau… Jeudi, Marc Ferracci a apporté son "soutien" au projet également défendu par la région et par le maire de Fos-sur-Mer. Mais il suscite un front commun assez inédit entre organisations syndicales et environnementales. Un collectif baptisé "Stop THT 13/30" propose un projet alternatif d'enfouissement. Le préfet a diligenté une étude complémentaire pour évaluer cette possibilité et a saisi la Commission nationale du débat public. 

Pour Nicolas Mat, les miniréacteurs nucléaires SMR pourraient être "une partie de la solution demain, mais ils ne règleront pas la question dans les dix ans". "Cela suppose un développement industriel majeur, cela ne se fera pas avant 2035 (...) La décarbonation ne peut pas reposer sur ces seuls SMR."