Fonction publique - Les premières décisions du gouvernement placées sous le signe de la rigueur
Depuis la révélation par la Cour des comptes d'un "dérapage" du budget de l'Etat, le gouvernement multiplie les arbitrages défavorables aux agents publics. Après l'annonce du rétablissement du jour de carence pour les arrêts maladie, le ministre Gérald Darmanin a fait savoir, le 10 juillet lors d'une réunion du conseil commun de la fonction publique, sa volonté d'"étaler" la montée en charge des mesures "PPCR" améliorant le déroulement de carrière des agents. Il a par ailleurs dévoilé la feuille de route des discussions qu'il souhaite mener avec les syndicats et les employeurs publics.
A la suite de la publication de l'audit de la Cour des comptes sur les finances publiques, les décisions gouvernementales se sont succédé pour les 5,4 millions d'agents publics. Le même jour, le 29 juin, le ministre de l'Action et des Comptes publics a annoncé le gel du point d'indice de la fonction publique en 2018. Le 6 juillet, lors des états généraux des comptes de la Nation, Gérald Darmanin a confirmé l'objectif de suppression de 120.000 emplois sur cinq ans dans les fonctions publiques territoriale et d'Etat, en confiant à la presse qu'à titre personnel, il n'excluait pas d'aller au-delà. On le sait, il a aussi programmé pour l'an prochain le rétablissement d'un jour de carence pour les arrêts de maladie ordinaire des agents, mesure dont les employeurs publics peuvent attendre 170 millions d'euros d'économies. Avec cette annonce en particulier, le ministre s'est attiré les foudres de la plupart des organisations syndicales.
C'est donc dans une ambiance sensiblement rafraichie depuis les premiers contacts pris durant la deuxième quinzaine du mois de mai, que les représentants des personnels et des employeurs ont retrouvé Gérald Darmanin le 10 juillet, lors d'une réunion du conseil commun de la fonction publique. Une réunion au cours de laquelle le ministre n'a pas rassuré ses interlocuteurs. Au contraire. "La situation des finances publiques nous oblige à nous interroger sur le calendrier de mise en oeuvre du protocole [sur les parcours professionnels, les carrières et les rémunérations] et de l’étalement de sa montée en charge", a déclaré le nouveau patron de Bercy. En précisant, selon le texte de son discours, qu'il souhaitait en discuter avec les syndicats "afin de trouver la meilleure solution possible".
Hausse de la CSG : "pas de perte de pouvoir d'achat"
Entretenant le flou, le ministre a aussi indiqué que le gouvernement ne partage pas la position de la Cour des comptes. Dans le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques rendu public le 29 juin, les magistrats écrivent qu'"il pourrait être envisagé, avant l’application pleine et entière du protocole PPCR, de rouvrir des négociations, au plan interministériel ou dans les ministères, pour obtenir de réelles contreparties aux majorations de traitement accordées". Selon la Cour, l'application des mesures PPCR devrait coûter au secteur public plus de 2,4 milliards d'euros en 2018, dont un peu moins de 1,4 milliard d'euros pour l'Etat et environ 550 millions d'euros pour les collectivités territoriales. La facture devrait s'alourdir en 2020 pour atteindre plus de 3,7 milliards d'euros.
Autre surprise envisageable, les conditions de mise en œuvre de la compensation pour les fonctionnaires de la hausse de la contribution sociale généralisée (CSG) pourraient être moins favorables qu'espéré. Ne payant pas de cotisations salariales, les fonctionnaires devraient toutefois bénéficier de compensations. Jusque-là le gouvernement évoquait une réforme qui fera gagner du pouvoir d'achat à tous les actifs, y compris les fonctionnaires. Or, ce 10 juillet, le ministre de l'Action et des Comptes publics a souhaité seulement "qu'ils ne perdent pas de pouvoir d'achat". A ce jour, "nous travaillons sur tous les scénarios possibles avec toute la complexité technique qui entoure la mise en oeuvre de la réforme", a indiqué l'ancien élu LR. Les discussions avec les syndicats sur ce sujet auront lieu lors d'un rendez-vous salarial qui se tiendra à l'automne, a-t-il encore précisé.
Ces déclarations, encore vagues, de la part de Gérald Darmanin tiennent compte de l'objectif fixé le 5 juillet au Sénat par le Premier ministre de stabiliser en 2018 (hors inflation) la masse salariale des trois fonctions publiques. Une annonce relayée par plusieurs journaux, mais qui, de manière étonnante, est passée relativement inaperçue.
Des états généraux du service public
Au-delà du sujet des rémunérations, qui sera donc placé sous le signe de la rigueur, le ministre compte discuter avec les syndicats de plusieurs sujets au cours des prochains mois. Des groupes de travail se réuniront dès septembre pour la préparation des élections professionnelles dans la fonction publique, qui se dérouleront au début du mois de décembre 2018. Ces travaux seront suivis "à partir de 2019" d'une réflexion "sur le dialogue social, le rôle des instances, les modalités du dialogue social, en particulier au plan local". L’accompagnement professionnel, le développement des compétences et la formation (avec notamment le nouveau compte personnel d'activité), le recrutement et le maintien dans l’emploi des personnes handicapées, l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, ou encore la prévention de l'absentéisme figureront également au menu de l'agenda social de la fonction publique. Une concertation sur les conditions de travail et la santé au travail est encore prévue. "Des questions concrètes demeurent en effet à traiter : la médecine de prévention, l’inaptitude de certains agents, les dispositifs de reconversion, le déroulement des instances médicales", a pointé le ministre. Qui souhaite, sur ces questions, aboutir à "un accord" avec les syndicats.
Les "états généraux du service public" seront l'un des temps forts de la rentrée. De même que la conférence nationale des territoires dont la première réunion se tiendra le 17 juillet, cet événement qui durera tout l'automne sera l'occasion de discuter "des missions du service public, du financement de ces missions" et proposera "des réformes de structures". Dans ce cadre, les agents pourront faire des propositions concrètes, via "des consultations dématérialisées, mais pas seulement". "A la fin", la discussion permettra de "savoir le nombre d'agents qu'il faut en face de ces missions", a révélé Gérald Darmanin à la presse.
Syndicats : le ton monte
FO a espéré que ces état généraux soient "transparents", pas un alibi pour réaliser les suppressions annoncées. Pour l'heure "on ne sent que la vision comptable et budgétaire" du ministre, a regretté auprès de l'AFP Christian Grolier, secrétaire général du syndicat.
De son côté, l’Unsa a estimé, dans un communiqué, qu'une remise en cause du calendrier d'application de PPCR "serait contraire aux engagements de l’Etat". "Beaucoup de mauvaises nouvelles ont été confirmées", a réagi quant à elle Bernadette Groison (FSU). Interviewée sur RTL, elle a promis de ne "pas rester l'arme au pied".
Côté employeurs, Philippe Laurent a considéré lors de la réunion qu'il est "facile, sinon intellectuellement paresseux, de penser que les agents, la fonction publique, la masse salariale sont la variable d’ajustement de l’action locale". Proposée par Emmanuel Macron lorsqu'il était candidat, la déconnexion du point d’indice entre l’Etat et les collectivités territoriales "nous étonne et même nous inquiète", a déclaré le secrétaire général de l'Association des maires de France. Une déclaration qui annonce d'âpres discussions au cours de la conférence nationale des territoires, un rendez-vous majeur au menu duquel la fonction publique sera aussi présente.