L’apprentissage peine à remplir toute sa vocation d’insertion

Alors que la réforme de l’apprentissage est toujours sur la table du gouvernement, plusieurs observateurs et acteurs soulignent les limites de ce dispositif pour améliorer l’insertion des publics moins favorisés. 

Annoncée puis régulièrement ajournée, la réforme de l’apprentissage refait à nouveau surface. Missionnée par la ministre du Travail, Catherine Vautrin, l’inspection générale des affaires sociales doit remettre en juin un rapport visant à proposer "un système rénové de fixation des niveaux de prise en charge". Mais avant même cette remise à plat, qui devrait en principe être en place en 2026, les mesures d’économies visant le système se multiplient cette année. L’enveloppe de fonctionnement dédiée aux CFA et transitant par les régions a été réduite de 50 millions d’euros cette année (lire notre article du 17 mai). En juillet prochain, les financements des formations de l’enseignement supérieur à partir du niveau bac +3 (niveaux 6 et 7) vont être réduits. Le 28 avril dernier, un décret a aussi supprimé l’aide exceptionnelle de 6.000 euros pour l’embauche de salariés en contrats de professionnalisation. Cette forme minoritaire de l’alternance a concerné 115.000 contrats en 2023, contre 235.400 en 2018. Les entrées en apprentissage se sont élevées à 852.000 en 2023. 

L’insertion des décrocheurs, "un caillou dans la chaussure"

L’objectif officiel d’atteindre un million d’entrées en apprentissage par an reste-t-il pertinent ? Pour de nombreux acteurs et observateurs, ce chiffre ne peut plus servir d’unique boussole. Faute de pilotage plus fin, ce système s’apparente surtout à de l’emploi et des études gratuites pour les employeurs et les jeunes, sans amélioration de la situation globale des populations moins favorisées, selon l’économiste de l’observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) Bruno Coquet. Invité à s’exprimer à ce sujet lors d’une table ronde organisée par l’Ajis (Association des journalistes de l’information sociale), il souligne qu’en dépit de l’explosion de l’apprentissage, "le chômage des jeunes n’a pas été réduit depuis 2019", ni le nombre de jeunes ni en emploi ni en formation (lire notre article du 6 mars 2024). Faute de statistiques disponibles, il réfute l’argument d’une plus forte mobilité sociale permise par l’apprentissage, remarquant que le nombre de boursiers dans l’enseignement supérieur n’a pas diminué. 

La difficulté à insérer les jeunes ni en emploi ni en formation, qui représentent 11,6% des 15-24 ans et 19% des 24-29 ans, constitue "un vrai caillou dans la chaussure", reconnaît Jean-Philippe Audrain, président de la Fédération nationale des directeurs de centres de formation d'apprentis (Fnadir). Pour réussir à atteindre le million d’apprentis, c’est pourtant là que les efforts des CFA devraient se concentrer. En effet, le nombre de jeunes sortant de troisième et de lycée "n’est pas extensible" et "la propension des jeunes de troisième à aller en voie professionnelle est toujours déclinante". Un tel objectif exigerait néanmoins d’augmenter les moyens des CFA, et qui "ne seront pas les mêmes que ceux qu’on veut nous donner avec le coup de rabot", plaide le représentant des centres de formation d’apprentis. 

Des efforts à faire pour le permis de conduire et le logement

Intégrer ces profils moins diplômés et plus éloignés du marché du travail exige "des moyens très forts", insiste le président de l’Association des apprentis de France, Aurélien Cadiou. Les aides aux employeurs ne suffisent pas. Il s’agit selon lui d’accompagner ces jeunes dans la recherche d’un centre de formation d’apprentis et d’une entreprise, ce qui suppose souvent de les aider à se déplacer et se loger. Or les solutions peuvent parfois manquer. Par exemple, les apprentis étudiant dans des CFA sans internat ne bénéficient pas toujours d’une aide à l’hébergement, celle-ci étant remboursée aux CFA à condition qu’ils proposent eux-mêmes une solution interne ou externe. "Ce mécanisme qui met les CFA en intermédiaire peut avoir des aspects positifs pour éviter le non-recours aux aides, mais on a aussi des centres de formation qui par la charge administrative que cela demande ne font pas les démarches", constate-t-il. Idem pour le permis de conduire : "On a des CFA qui nous disent qu’ils ne font que dix dossiers par an parce que ça leur fait sortir trop d’argent", rapporte Aurélien Cadiou. L’incitation à l’apprentissage pèche aussi au niveau de la prime d’activité. Ce coup de pouce n’étant versé qu’à partir d’un salaire équivalant à 78% Smic net (soit 974 euros) depuis au moins trois mois, les apprentis touchant des paies inférieures n’y ont pas accès. Autant de défauts qui appellent selon lui à une évaluation des aides directes aux apprentis.