La végétalisation urbaine et rurale pour réguler localement la température et le cycle de l’eau
Lorsqu’on parle d’action concrète à mettre en place sur le terrain, on pense souvent à la végétalisation. En réalité, on devrait y penser encore plus souvent ! La végétalisation que l’on soit en ville ou en zone rurale est un pari largement gagnant.
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La végétalisation, qu’est-ce que c’est et pourquoi c’est efficace ?
Pour comprendre l’intérêt de la végétalisation à grande échelle, il faut saisir quelques-uns des principes de fonctionnement de la photosynthèse, et pas forcément les plus connus. Quand une feuille fait de la photosynthèse, elle fabrique de grosses molécules de glucose (sucre) à partir des petites molécules de l’air : CO2 et eau essentiellement. C’est un processus « anabolique », par opposition au processus « catabolique » des animaux, qui casse de grosses molécules de sucre avec de l’oxygène pour extraire de l’énergie. Constituer de la matière absorbe donc de l’énergie, et de la chaleur. La photosynthèse est ainsi endothermique : elle crée du froid.
Le fait que la feuille soit ainsi relativement plus fraîche que l’air, surtout en été, va entrainer progressivement la condensation du peu de vapeur d’eau que la colonne d’air au-dessus d’elle contient. Cette eau ruisselle et hydrate la plante, qui la transpire ensuite pour se refroidir encore davantage, ce qui perpétue ce mécanisme.
Cette eau extraite de l’air crée ainsi un petit effet d’aspiration, puisqu’on retire de la matière à l’air. Cela donne naissance à un mini-courant d’air vertical, qui à l’échelle d’un bosquet peut aller jusqu’à 10km/h ! Sur une surface de 1 m2 de feuilles, c’est environ 10 000 m3 d’air qui vont circuler chaque heure, ce qui peut permettre à cette surface végétale d’extraire jusqu’à 4 mm d’eau par jour, soit l’équivalent d’un gros orage tous les 10 jours !
Que devient toute cette eau ? Après avoir coulé le long de la plante, elle va être partagée dans le sol aux plantes environnantes par les petits filaments du réseau de champignons. Le mycélium a de fait cette capacité unique à maintenir une pression osmotique constante dans les plantes avec lesquelles il est connecté. Autrement dit, il régule la distribution de l’eau aux végétaux ! Une partie de ce trop-plein d’humidité va descendre dans la terre pour alimenter les aquifères, la maintenir prête à absorber la pluie, de la même manière qu’une éponge humide absorbe l’eau plus vite. In fine, c’est cette eau qui fera jaillir les sources.
En somme, les plantes sont des aimants à eau, des ventilateurs naturels. Pour maximiser cet effet, il faut d’ailleurs veiller à planter en différents étages : arbres et herbes/buissons en dessous. Et la quantité fait l’efficacité !
Lutter contre les îlots de chaleur grâce aux îlots de fraîcheur
Les villes sont plus chaudes de quelques degrés par rapport aux zones périurbaines et rurales adjacentes, en raison principalement de la réverbération des rayons infrarouges sur les surfaces minérales, mais aussi l’effet brise-vent des bâtiments, du peu d’évapotranspiration des plantes ou encore des gaz en suspension.
Entre les deux sites de l’AgroParisTech de Paris et de Grignons, à 30 km de distance, on note par exemple un décalage de 3°C en moyenne sur l’année, qui peut monter jusqu’à +10/12°C en période de canicule ! En moyenne, le surplus de chaleur de l’îlot oscille entre les saisons : +0.5°C en hiver, jusqu’à +10°C en été par rapport à la moyenne départementale. Ce phénomène, évidemment exacerbé par le changement climatique, a de nombreuses conséquences, à la fois sanitaires, économiques et environnementales. Pour l’endiguer, il est conseillé de mettre en œuvre un verdissement ambitieux : partout où des surfaces bitumées sont peu utilisées et peuvent être rendues à la terre, il est possible de planter. Un arbre, c’est 1 m2 au sol, mais c’est 150 m2 de feuilles qui transpirent. Un chêne adulte peut ainsi transpirer quelques 500 litres par jour, produisant l’effet de 5 climatiseurs qui tourneraient 20h par jour, selon les chiffres de l’ADEME.Pour reprendre ainsi l’exemple de Paris, et d’après une modélisation de Météo-France, on estime qu'avec seulement 300 hectares de végétation en plus, soit 3% de la superficie de la capitale, la température pourrait diminuer de 0,5 à 1°C lors d'une journée caniculaire. Une ville judicieusement végétalisée pourrait ainsi voir sa température réduite de 5 à 6 °C et la consommation énergétique pour l’air climatisé de 50 % à 70 %. Une solution simple pour économiser de l’énergie. Cette végétation doit cependant être suffisamment irriguée, car les végétaux en situation de stress hydrique, comme des pelouses roussies, ont un effet rafraîchissant limité. Il est par ailleurs préférable d’implanter des végétaux un peu partout plutôt que de créer une forêt urbaine en un seul point, même s’il est intéressant de noter que des espaces verts en ville créer des effets courant d’air rafraîchissant à grande échelle.
À Paris, les espaces urbains de l’Écoquartier de Clichy Batignolles représentent un exemple intéressant. Les espaces verts privés y couvrent plus 6 500 m² et les toitures végétalisées 16 000 m². Le quartier a été conçu également de façon à ce que les usagers profitent du rafraîchissement permis par les 10 hectares du parc Martin Luther King. Ce dernier est composé d’essences variées d’arbres et d’arbustes, d’allées de couleurs claires, de système de fossés humides et de cuve de récupération des eaux de pluie relarguant une humidité agréable.
Végétaliser en ville, végétaliser en milieu rural… quelles différences, et quels bénéfices ?
Dans les petites villes et les zones rurales, naturellement climatisées par la végétation des alentours, les bénéfices principaux concernent davantage la régulation du cycle de l’eau que la lutte contre les effets îlots de chaleur. Entre le tassement des sols agricoles - occasionné par labour et la minéralisation des surface par les engrais - et l’imperméabilisation des surfaces par l’artificialisation, chaque m2 rendu à la végétation permet davantage d’infiltration d’eau dans les sols. Rapporté à l’ensemble des surfaces concernées sur un bassin versant, la végétalisation permet de prévenir sensiblement les inondations, dont le changement climatique représente augmente la probabilité. Évidemment, toutes les plantes ne fournissent pas toutes les mêmes services écosystémiques : certaines sont plus adaptées au rafraîchissement, car évapotranspirant beaucoup, d’autres sont d’excellents supports de biodiversité, de captation des particules/dépollution, de stockage du carbone, de gestion de l’eau, et bien sûr de paysage.
Des outils comme Sesame, accessibles au public et conçus en collaboration entre des collectivités et le Cerema, permettent de se renseigner facilement sur les services et les contraintes de nombreuses espèces, par exemple sur leurs besoins en eau, ensoleillement, type de sol ou encore leurs émanations de pollens. On adapte également les plantes aux contraintes du milieu urbain. Sur la voirie, les trottoirs, les cours d’école, on peut miser de préférence sur la végétalisation en pleine terre qui permet également de désimperméabiliser les sols. Il est aussi possible de concevoir des noues urbaines (sortes de bandes enherbées profondes) perméables ou des bacs de plantation irrigués grâce à des eaux de pluie récupérées sur la voirie ou les toitures. Dans les immeubles, on peut végétaliser sa cour grâce à des techniques similaires, ou bien son mur en privilégiant des plantes grimpantes plantées en pleine terre. Pour les toitures, surfaces stratégiques car trop peu utilisées en général, les possibilités de végétalisation dépendent de la portance de la structure, de la pente, etc. En été, on note des différences de - 25 °C (jusqu’à -43°C en période de canicule) relevées entre la température de surface d’un toit classique et d’un toit végétalisé, conduisant à un gain de température allant de - 3 à - 5 °C à l’intérieur des bâtiments.
Il est par ailleurs primordial de varier les essences et les strates de végétaux (arbres, arbustes, etc.) pour avoir un écosystème plus résilient face aux impacts du changement climatique et un effet d’évapotranspiration maximal.