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Organisation territoriale / Communication - Comment construire la commune nouvelle avec les habitants ?

En quelques années, 554 communes nouvelles ont vu le jour et, actuellement, 150 projets sont à l'étude. La quatrième rencontre nationale des communes nouvelles organisée le 15 mars dans les locaux de l'Association des maires de France (AMF) a été consacrée à l'un des points qui sera essentiel à la réussite de ces nouvelles collectivités : la consultation et l'association des habitants et, plus largement de la société civile. Des maires qui ont déjà vécu l'aventure ont prodigué leurs conseils. Présente à la rencontre, la ministre Jacqueline Gourault n'a pas donné satisfaction à une demande de l'AMF visant à donner provisoirement de la souplesse aux communes nouvelles sur le nombre de leurs conseillers municipaux.

Avoir une communication bien orchestrée en direction de la population est l'une des conditions clés pour faire aboutir les projets de communes nouvelles. C'est ce qui est apparu à travers les expériences présentées ce 15 mars lors de la quatrième rencontre nationale des communes nouvelles organisée par l'Association des maires de France (AMF), en partenariat avec Territoires Conseils (Caisse des Dépôts).
Les maires des sept communes qui ont constitué le 1er janvier 2017 la commune nouvelle de Terre-de-Caux (Seine-Maritime, 4.069 habitants) ont plutôt réussi cet exercice difficile et exigeant, sur lequel est revenu le maire de la nouvelle collectivité, Jean-Marc Vasse. Les sept maires ont dévoilé le projet lors de chacune des cérémonies de vœux qu'ils ont organisées dans leur commune. "Il n'y a pas eu de révolution, les gens ont été bienveillants et voulaient comprendre, ce qui nous a poussé à avancer", relate l'élu. Qui, avec ses collègues, a ensuite régulièrement rendu compte aux habitants de l'état d'avancement du projet par l'organisation de réunions publiques, dans chacune des communes concernées. Des réunions qui ont permis de toucher environ dix pour cent de la population, et au cours desquelles "quelques opposants" se sont manifestés. "On ne s'est pas laissés impressionner", assure le maire. Par ailleurs, pour toucher "la majorité silencieuse", des lettres d'information ont été diffusées et une page spéciale a été créée sur Facebook. Les élus sont aussi "allés au-devant des journalistes", pour expliquer le projet en toute "transparence", en veillant à ne pas faire d'annonces prématurées.

"Les cafés citoyens ont libéré la parole"

"Nous, les sept maires, nous étions en phase et nous nous sommes efforcés de garder cette cohérence, d'avoir un discours unique. C'est ce qui nous a permis de gagner la bataille de l'opinion publique", a analysé Jean-Marc Vasse. Cette cohésion des élus a été essentielle lorsque le maire d'une commune voisine, s'opposant à la démarche, a distribué des tracts dans toutes les boîtes aux lettres pour tenter de retourner l'opinion publique contre ses élus. "Fermes sur leur position", les maires ont réussi à faire échouer l'initiative, malgré le soutien que quelques conseillers municipaux lui avaient apporté.
L'aventure de la création de la commune nouvelle n'est pas toujours aussi chaotique. La transformation début 2016 de la communauté de communes du Malesherbois (Loiret, 8.096 habitants) en commune nouvelle s'est faite sans heurts, selon le maire, Delmira Dauvilliers. La population a "pris conscience" de l'existence de la commune nouvelle lorsque les noms de vingt-cinq rues ont été rebaptisés. L'opération visait à empêcher les doublons, mais elle n'a pas permis d'éviter, durant un an, les difficultés d'acheminement du courrier. "Quand la commune nouvelle a pris son rythme de croisière, il ne faut pas relâcher l'effort de communication, bien au contraire", en a-t-elle déduit.
Un conseil que n'a pas démenti Pierre-François Bernard, maire des Premiers Sapins, commune nouvelle du Doubs (1.540 habitants), créée le 1er janvier 2016, elle aussi à l'échelle d'une communauté de communes. Après cet acte fondateur, l'élu a voulu "retourner devant la population", mais sans "aller dans l'information descendante." Des "cafés citoyens" ont donc été organisés avec des responsables d'associations, dans chacun des six villages, entre début juillet et fin septembre 2017. Les habitants ont pu s'informer sur la commune nouvelle, ses services et ses projets, mais aussi s'exprimer par écrit. Des contributions qui ont été lues "dans le style du crieur public", raconte le maire. L'expérience "a créé du débat", "a libéré la parole" et "a fait sortir de nombreux projets", se félicite-t-il. En faisant remarquer aussi que les cafés citoyens ont permis d'attirer des personnes qui n'étaient pas venues aux réunions d'information sur la commune nouvelle.

Nom de la commune : cela regarde les habitants !

Pour donner une identité à la toute jeune collectivité, le tissu associatif et commerçant est aussi parfois à l'oeuvre. Comme aux Achards (4.900 habitants), en Vendée. Dix-huit mois après la création de la commune nouvelle, les commerçants invitent la population à des festivités sur le thème du mariage, qui se dérouleront le 2 juin prochain, comme l'a évoqué le maire, Daniel Gracineau.
La communication sur le projet doit être "anticipée", sinon "elle vous échappe", a résumé Philippe Chalopin, maire de Baugé-en-Anjou et coprésident du groupe de travail de l'AMF sur les communes nouvelles. Pour autant, l'élu conseille de ne pas organiser trop tôt les réunions publiques. En effet, en restant flous, des élus pourraient renforcer l'inquiétude des habitants plutôt que de les rassurer. Le moment de la communication doit être bien choisi : il ne faut pas non plus aller à la rencontre des habitants trop tard, afin d'éviter que ces derniers ne pensent que le dossier est "ficelé", relève Philippe Chalopin.
Pour le président de la commission nationale de toponymie, le nom de la commune nouvelle figure parmi les questions qu'il convient de ne pas aborder trop en avance. Pierre Jaillard a conseillé d'associer la population à son choix : c'est elle "la première concernée", a-t-il dit. En faisant observer aussi que "la question du nom peut devenir un abcès de fixation des oppositions, ou à l'inverse un moteur de communication de l'unité nouvelle." Les élus de Terre-de-Caux ont appliqué le conseil à la lettre. Ils ont consulté la population "lors de la journée de la citoyenneté, au mois de mai". Les douze pour cent des habitants qui y ont pris part ont choisi entre deux noms sélectionnés au préalable par les conseils municipaux. "Terre-de-Caux" est arrivé en tête et s'est donc imposé, bien que n'ayant pas la préférence des maires.

Nombre de conseillers municipaux après 2020 : une question "urgente"

Les conseils délivrés au cours de la rencontre seront sans doute utiles aux quelque 450 communes qui mènent aujourd'hui des réflexions en vue de l'aboutissement d'environ 150 projets de communes nouvelles - ce sont les chiffres avancés par l'AMF. Il a été rappelé que ces derniers devront être réalisés le 1er janvier 2019 au plus tard, sous peine d'être reportés à 2021. En effet, des communes nouvelles ne peuvent être créées dans l'année précédant les élections municipales.
Ce prochain scrutin aura à coup sûr des allures de virage pour un certain nombre de communes nouvelles existantes, notamment celles qui regroupent beaucoup d'anciennes communes. Le nombre de leurs conseillers municipaux va être réduit drastiquement. Le conseil municipal de Segré-en-Anjou Bleu passera ainsi de 235 conseillers - un nombre reconnu comme pléthorique - à 35, un nombre jugé, lui, insuffisant. Le maire, Gilles Grimaud, redoute que la collectivité ne soit obligée de recruter des agents pour remplacer les élus qui ne siégeront plus. D'autant que la commune a une superficie équivalente à celle de la ville de Marseille. D'autres craignent qu'il soit difficile d'assurer la représentation de toutes les communes historiques. Au regard des observations qui remontent du terrain, "la question de la taille du conseil municipal est la plus urgente à traiter", a souligné Vincent Aubelle, professeur associé à l'université Paris-Est Marne-la-Vallée et auteur d'un récent Panorama des communes nouvelles. Selon le spécialiste, le sujet concerne 28 communes nouvelles existantes. Après la prochaine élection municipale, le nombre de leurs conseillers municipaux sera inférieur au triple du nombre de leurs communes, soit le minimum réclamé par l'AMF pour la période du prochain mandat. En outre, cette difficulté constituerait "un point de blocage" pour un certain nombre de projets de communes nouvelles. "Pourquoi sur ces questions de représentation, ne pourrait-on pas envisager des dispositions dans le cadre d'un droit à l'expérimentation ?", a plaidé Vincent Aubelle.

Droit à la différenciation

Présente durant une grande partie de la rencontre, la ministre auprès du ministre de l'Intérieur, Jacqueline Gourault, a émis beaucoup de réserves vis-à-vis de la demande de l'AMF. Tout en s'interrogeant sur la pertinence de légiférer pour 28 communes, elle a fait remarquer que des communes non fusionnées, qui relèvent d'une même strate démographique et ont donc le même nombre de conseillers municipaux, peuvent avoir des superficies très différentes. "On dit qu'il y a de moins en moins de candidats aux élections municipales et curieusement vous voulez en ajouter", a-t-elle aussi observé. La ministre a par ailleurs fermé la porte à la possibilité pour une commune nouvelle issue de la fusion de toutes les communes membres d'une communauté de communes de déroger à l'obligation d'appartenir à une intercommunalité à fiscalité propre. Cette proposition formulée par l'AMF "conduit à recréer des communes isolées", a critiqué l'ancienne présidente de la commission intercommunalité de l'association.
Malgré son refus de déroger à la règle, Jacqueline Gourault a vanté l'attachement du gouvernement au principe de l'adaptation en fonction des territoires. En proposant dans la réforme constitutionnelle une modification de l'article 72 de la loi fondamentale, afin d'y introduire un droit à la différenciation pour les collectivités, "nous sommes dans une démarche qui veut prendre en compte la réalité des territoires", a-t-elle souligné.

 

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