Industrie - Automobile : le Cese en appelle à l'Europe
C'est un coup dur pour le ministre du Redressement productif qui en avait fait un de ses chevaux de bataille. La Commission européenne a rejeté, mardi 23 octobre, la demande de la France de mise sous surveillance de l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et la Corée du Sud dans le secteur de l'automobile. Pour justifier sa demande, la France avait fait valoir l'envolée des importations en provenance du Pays du matin calme depuis l'entrée en vigueur de cet accord en juillet 2001. Selon le rapport Sartorius remis au gouvernement le 11 septembre, l'Union européenne a en effet importé 6 fois plus de véhicules coréens qu'elle n'en a exportés depuis la signature de cet accord… Un paradoxe quand on explique dans le même temps que le Vieux Continent est en situation de surcapacités dans un marché de "renouvellement", comme le fait remarquer le Conseil économique et social et environnemental (Cese) dans un avis adopté le 23 octobre… De fait, les usines européennes fonctionnent actuellement à 70% de leurs capacités. S'agit-il uniquement d'une baisse de la demande ? Le Conseil reconnaît que les causes en sont "fortement discutées". Il liste notamment la maturité du marché avec "un parc marqué par une fiabilisation des modèles et une augmentation de leurs durées de détention". Pourtant la France, qui occupe le 8e rang des pays constructeurs, est devenue importatrice nette de voitures. Les immatriculations de voitures en France ont continué à augmenter pendant la crise passant de 2.109.672 à 2.240.000 en 2010. Mais dans le même temps, la production d'automobiles en France a lourdement chuté, de 2.550.869 véhicules à 1.924.179 (contre 3,3 millions en 2002). C'est donc bien l'augmentation des importations qui explique le recul de la production hexagonale. La part des constructeurs français représente encore 55% du total des ventes, mais c'est 20 points de moins qu'en 1980. Le Cese invoque les choix stratégiques des constructeurs qui ont ouvert des sites dans les pays de l'Est (Pologne, Slovénie, Slovaquie) officiellement pour se lancer sur le marché local, mais leur production s'est ensuite tournée vers les marchés d'origine. Il effleure aussi la "politique de libre-échange systématique" de l'Europe.
Pour enrayer le déclin de l'industrie automobile française qui ne représentera que 2% de la production mondiale en 2015 quand la Chine en est déjà à 25%, le Cese propose d'agir sur les trois niveaux : européen, national et régional. En plein débat national sur la compétitivité, le Conseil rappelle que "la compétitivité de l'industrie française en termes de coût de travail a diminué au cours des dix dernières années, en particulier vis-à-vis de l'Allemagne qui a connu, de son côté, une évolution inverse ('modération salariale', transferts de cotisations sociales vers la TVA)".
Semaine cruciale
En dehors de cette question qui est loin de faire l'unanimité au sein du Cese, l'Etat devrait donner un cadre stratégique, "bâtir une filière puissante" autour des véhicules du futur "décarbonés". La France "a tous les ingredients d'une filière" mais devra revisiter sa relation à la sous-traitance pour passer à un mode de "co-traitance" à l'allemande car "l'ensemble pêche par l'insuffisance du travail en commun, une hierarchisation de fait qui s'apparente à une pression excessive des donneurs d'ordre". Le Cese invite à rehausser le niveau d'investissements concurrentiels (maintien du crédit impôt recherche, mise en réseau des pôles de compétitivité...). Il rappelle que Volkswagen vient de lancer un plan d'investissement de 12 milliards d'euros par an sur cinq ans quand "l'addition des forces de Renault et de PSA représente environ 4,5 milliards d'euros pour 2012".
Le Conseil accorde aussi une large place aux collectivités "qui sont au cœur de la gestion des espaces et des modes de transport". "Une politique locale des transports, d'urbanisme doit faire des offres de déplacements en fonction de son propre territoire", a expliqué à la presse le rapporteur du Cese Patrick Bailly, mardi 23 octobre.
Ces recommandations interviennent dans une semaine cruciale pour l'industrie automobile française : confirmation du rapprochement entre PSA et Opel, négociations entre l'Etat et PSA sur les contreparties sociales à la garantie publique de 7 milliards d'euros sur trois ans accordée à la filiale bancaire du groupe (BPF). Depuis le plan automobile de juillet, le gouvernement donne l'impression d'avancer à tâtons et ne peut que "regretter" aujourd'hui la décision de Bruxelles. Au moment où un accord de libre-échange annoncé comme l'un des plus importants de ce type est en préparation avec le Japon, le gouvernement lancera une consultation "dans les tout prochains jours", auprès de tous les acteurs concernés, sur les conditions nécessaires à l'ouverture des négociations. "Une part décisive de l'avenir de l'automobile française se joue assurément au sein de l'espace européen", confirme Patrick Bailly. "L'aéronautique - qui ne représente qu'environ la moitié de l'automobile en R&D - capte cinq fois plus d'aides européennes", remarque-t-il. Le rapporteur encourage une remise à niveau des sites d'Europe de l'Ouest mais prévient que "ni l'Allemagne, ni les Pays d'Europe centrale et orientale (Peco) qui défendront leurs nouveaux investisseurs, ne facileteront" cette option.