Apprentissage : quand l’Igas se penche sur le modèle des Compagnons du devoir…

Dans le contexte du renouvellement de l’accord-cadre entre l’État et les Compagnons du devoir, toujours en cours, l’inspection générale des affaires sociales a expertisé le modèle des Compagnons du devoir. Objectif : sécuriser son financement et son organisation au plan juridique, en tenant compte de sa spécificité qui est d’organiser des parcours en alternance itinérants. 

Ni audit, ni contrôle, mais une mission d’"expertise juridique". Le rapport de l’inspection générale des affaires sociales sur le modèle des Compagnons du devoir, diffusé début décembre, est aussi particulier que son sujet : l’Association ouvrière des Compagnons du devoir et du Tour de France (AOCDTF). Fondée en 1941, cette association loi 1901 reconnue d’utilité publique propose à des jeunes de moins de 25 ans un parcours d’apprentissage atypique s’inspirant du modèle du compagnonnage. 

Après une formation dite "initiale" d’un à trois ans, les apprentis peuvent apprendre leur métier en itinérance, dans le cadre d’un "Tour de France" ; ce parcours aboutit à la réalisation d’un "chef d’œuvre" et au statut de "compagnon". Autre spécificité : la vie en communauté au sein des "maisons de Compagnons".

Au 31 décembre 2022, plus de 11.000 alternants suivaient un parcours au sein de ce réseau, 2.500 étaient engagés sur le Tour de France. L’association forme à 34 métiers, en particulier à des CAP dans le domaine du bâtiment, mais aussi aux métiers de boulanger, charcutier, tapissier, ébéniste…

Un accord-cadre toujours en cours de négociation 

Depuis 1999, l'AOCDTF a conclu plusieurs accords-cadres avec l’État afin de sécuriser son fonctionnement. Le nouvel accord-cadre est toujours en cours de négociation, selon Compagnons de France. C’est dans le contexte de l’arrivée à l’échéance du dernier, au printemps 2024, que l’Igas a été mobilisée par l’ex-ministre déléguée à l’enseignement et à la formation professionnels, Carole Grandjean, afin d’analyser les pratiques des Compagnons à l’aune de la réglementation en vigueur et d’"identifier des pistes de progrès pour préserver au mieux les caractéristiques du compagnonnage dans un contexte qui peut comporter des contraintes à cet égard".

L’itinérance des apprentis dans le cadre du Tour de France conduit en effet à des difficultés juridiques : alors que dans le droit commun, l’apprentissage se déroule au sein d’une entreprise, le parcours "compagnonnique" implique que chaque année voire chaque semestre se déroule dans une ville et chez un employeur différents. La conclusion d’un contrat d’alternance sur l’ensemble du parcours n’étant pas possible, l’association ne l’utilise qu’à l’approche de la passation du diplôme et recourt dans l’intervalle, sur les périodes "non diplômantes", à des contrats de professionnalisation, des titres professionnels ou des certificats de qualification professionnelle (CQP) dont l’inconvénient est qu’ils sont "sources d’incertitudes" et mal compris des opérateurs de compétences (Opco). 

Sécuriser le financement des Compagnons

Face à ces constats, l’Igas préconise diverses adaptations. À court terme, il s’agirait notamment de "clarifier au sein du futur accord-cadre conclu entre l’État et les associations compagnonniques les modalités de succession des contrats d’alternance au cours du Tour de France (…), afin de sécuriser les parcours des jeunes aspirants et les prises en charge financières". Voire d’explorer des solutions légales comme les groupements d’employeurs afin de mettre en place un contrat unique compatible avec plusieurs employeurs. Autre recommandation : proposer systématiquement aux jeunes Compagnons assurant une fonction de formateur-métier un accompagnement vers une certification "reconnaissant leurs compétences pédagogiques".

A maxima, le rapport Igas propose même d’"inscrire la possibilité d’un apprentissage en itinérance dans la loi, qui autoriserait juridiquement la succession de plusieurs contrats d’alternance au cours d’un même parcours". Le détour par le cas particulier des Compagnons conduit aussi l’Igas à insister sur l’importance de protéger les niveaux de prise en charge des formations visant les publics à plus bas niveaux de qualification. Pour les Compagnons du devoir, les pertes de chiffre d’affaires liées aux baisses des financements intervenues en 2022 et 2023 ont été estimées à 4,8 millions d’euros en année pleine. Parmi les formations les plus impactées : les CAP menuisier, charpentier bois, métallier, pâtissier, monteur en installations thermiques, ou encore le brevet professionnel menuisier.