Ordre public - Affaire Dieudonné : ce que prévoit la circulaire Valls
Nantes, Marseille, Bordeaux, Lyon, Avignon... une vingtaine de villes où l'humoriste Dieudonné doit se produire dans le cadre de sa tournée ont annoncé leur volonté d'interdire son spectacle "Le Mur". Alors que certains maires ont déjà pris des arrêtés d'interdiction comme à Nice, Montbéliard ou Caen, le ministre de l'Intérieur a envoyé aux préfets le 6 janvier, une circulaire visant à leur donner une base juridique plus solide. "La tournée de Dieudonné est censée se déplacer cette semaine à Nantes, Tours et Orléans. Les maires et les préfets ont donc les moyens juridiques d'agir", souligne dans un communiqué du 6 janvier Manuel Valls, qui a multiplié ces derniers mois les attaques ad hominem contre l'humoriste. Selon lui la tenue des représentations "n'appartiennent plus à la dimension créative mais contribuent à accroître les risques de troubles à l'ordre public".
"Dans plusieurs villes de France, de nombreux maires et préfets ont appelé l'attention sur la teneur de ce spectacle, en faisant valoir qu'il contenait des propos antisémites et infâmants à l'égard de personnalités de confession juive ou de la communauté juive dans son ensemble et des atteintes virulentes et choquantes à la mémoire des victimes de la Shoah", souligne la circulaire intitulée "Lutte contre le racisme et l'antisémitisme – manifestations et réunions publiques – Spectacles de M. Dieudonné M'Bala M'Bala".
La circulaire s'appuie sur l'existence de risques de troubles à l'ordre public, sur la base de deux motifs. L'un qualifié de "classique" par le ministre part du principe que l'autorité publique ne dispose d'aucun autre moyen que l'interdiction pour prévenir les troubles matériels. Le second, moins utilisé, s'appuie sur la jurisprudence du "lancer de nain", découlant d'un arrêt du Conseil d'Etat du 27 octobre 1995 (commune de Morsang-sur-Orge) ayant validé l'interdiction de cette étrange pratique : le spectacle en cause serait "susceptible d'affecter le respect dû à la dignité de la personne humaine, qui est une composante de l'ordre public".
La circulaire rappelle que la police des spectacles, partie intégrante du pouvoir de police générale, appartient au maire. Elle demande ainsi aux préfets de rappeler aux édiles les conditions d'interdiction des spectacles, de les assister dans leur démarche d'interdiction et, le cas échéant, de se "substituer" à eux, lorsque les conditions d'une interdiction seront réunies.
Dans les zones de police d'Etat, les préfets devront en outre prévenir les troubles à la tranquillité publique (jurisprudence Benjamin du Conseil d'Etat du 19 mai 1933) et faire usage de leur pouvoir d'interdiction, concurremment ou non avec l'arrêté du maire.
Les préfets devront par ailleurs réunir au cours du premier trimestre, voire d'urgence si l'actualité départementale le nécessite, la commission départementale pour la promotion de l'égalité des chances et de la citoyenneté, afin d'encourager les "initiatives de sensibilisation et de pédagogie contre les comportements racistes, antisémites, antimusulmans ou intolérants".
Arrêté d'interdiction à Nantes
Au lendemain de la publication de la circulaire, les avocats de Dieudonné ont réagi dans un communiqué intitulé "Se moquer du monde" dans lequel ils annoncent leur intention de saisir la Cour de justice de la République, "à la suite des accusations attentatoires à l'honneur et à la considération, tenues par monsieur Manuel Valls dans le cadre de ses responsabilités ministérielles, à l'endroit de monsieur Dieudonné M'bala M'bala". "La liberté d'expression n'est pas un caprice à la disposition des gouvernants ou d'un humoriste, elle est ce qui permet de faire ce qu'il y a de plus difficile entre les hommes, dire quelque chose à quelqu'un", arguent-ils.
Sur le terrain, les effets de la circulaire ne se sont pas fait attendre. Le préfet de Loire-Atlantique a signé mardi l'arrêté d'interdiction du spectacle à Nantes où, avec 5.200 places vendues, Dieudonné devait entamer sa tournée. Une interdiction qui a conduit à l'annulation de la manifestation prévue mercredi dans cette ville, à l'appel de la famille Klarsfeld. Le sénateur-maire de Tours, Jean Germain (PS), a pris un arrêté similaire, mardi matin. Dans les villes où de tels arrêtés n'ont pas encore été pris, des appels à la manifestation ont été maintenus.
Ces dernières années, les tribunaux administratifs et le Conseil d'Etat ont annulé, au nom du respect de la liberté d'expression, une quinzaine d'arrêtés d'interdiction visant Dieudonné.