Transition énergétique : après la Commission européenne, Amorce donne l’alerte

À l’occasion de son congrès "Énergie" tenu ce 4 juin, l’association Amorce s’inquiète de la mauvaise trajectoire suivie par la transition énergétique en France, révélant que la Commission européenne a même décidé de suspendre le versement des aides du Feder dans l’attente de clarifications. En l’absence regrettée de loi de programmation énergie-climat, l’association propose diverses mesures pour corriger le tir, plus ou moins coercitives pour les collectivités.

Une nouvelle fois l’association Amorce se fait Cassandre (voir notre article du 28 mai). Cette fois, c’est la transition énergétique du pays qui la préoccupe. "C’est presqu’une conférence de presse d’alerte que l’on organise aujourd’hui", déclare d’emblée le délégué général de l’association, Nicolas Garnier, ce 4 juin. L’association n’est toutefois pas la seule à tirer le signal d’alarme, comme le dévoile l’expert : "On vient d’apprendre que la Commission européenne a transmis un courrier à la représentation gouvernementale française, qui l’a transmis à chacune des régions, qui indique clairement qu’au regard des retards pris par la France dans le développement des énergies renouvelables [EnR], elle gelait les aides du Feder [fonds européen de développement régional] dans l’attente d’une réponse de clarification, de correction de la trajectoire." Peu rassurant, d’autant que, comme le souligne Nicolas Garnier, "le Feder, c’est aussi un carburant pour les énergies renouvelables". 

Un trépied de la transition énergétique plus que fragile

Il faut dire que les calculs ne sont pas bons, voire "globalement mauvais. On était à 20% d’EnR dans la consommation finale en 2022, quand on a fixé 40% d’ici 2030. Un objectif qu’il va falloir encore augmenter puisque la directive RED 3 le fixe plutôt à 42,5% pour la France [voir notre article du 7 novembre 2023]. On a un rythme de développement d’à peu près 1% par an, quand on avait prévu plutôt 2%, et alors que c’est désormais plutôt 3% qu’il faut viser", observe le délégué général. Et de conclure : "Le challenge est immense."

Il l’est d’autant plus qu’il observe qu’un autre "pilier sur lequel repose la transition énergétique à la française", soit "une baisse de la consommation énergétique de presque 30%", se fait également fragile : "On n’est pas sur cette trajectoire en termes de rénovation énergétique et de constructions neuves à forte efficacité énergétique", déplore-t-il. Pourtant, Philippe Guelpa-Bonaro, vice-président d'Amorce, le rappelle : "Plus on réduira les consommations d'énergie, plus les objectifs de part de consommation issue des renouvelables seront respectés." 

Reste le redéploiement d’une filière nucléaire : "On a l’impression que c’est la seule certitude aujourd’hui, puisque le déclenchement des investissements est uniquement entre les mains du gouvernement", déclare Nicolas Garnier. Tout en soulignant que "dans les cinq, dix prochaines années, nous ne produirons pas plus à partir des centrales nucléaires. Donc tout se jouera sur les énergies renouvelables".

Une loi de programmation énergie-climat qui fait cruellement défaut

Il l’avoue, le fait que le gouvernement ait finalement décidé de ne plus présenter de loi de programmation énergie-climat (LPEC – voir notre article du 18 janvier) le rend "encore plus inquiet. C’était quand même un élément essentiel. Un moment politique, médiatique, capable de sensibiliser les populations sur le fait que, oui, il va falloir baisser les consommations, et, oui, on va devoir tous faire des énergies renouvelables". Nicolas Garnier relève pourtant qu’il "semble que l’idée de faire une loi soit consensuelle", évoquant les velléités en ce sens des députés EELV d’une part, et du Sénat d’autre part. Reste à savoir "quelle loi" il en ressortirait. "N’est-ce pas le rôle du Parlement de faire des compromis, d’accepter de se parler, plutôt que de camper sur ses positions ?", vante-t-il, tout en confessant ne guère croire à une issue positive. Aussi, puisqu’une loi globale ne semble guère vendable, Amorce entend procéder à la découpe.

Une proposition de loi Chaleur renouvelable pour mobiliser les collectivités à l’approche

Redoutant en particulier que "l’on ne fasse pas une transition énergétique, mais une transition purement électrique, peu sobre, peu renouvelable, pas si décarbonée que cela et qui créerait de nouveaux risques à la fois en termes de souveraineté et de pouvoir d’achat", Nicolas Garnier indique ainsi qu’une proposition de loi rédigée par l’association sur la chaleur renouvelable devrait être présentée "dans le courant de ce mois par un ou plusieurs groupes parlementaires". En l’état du texte, toutes les collectivités de plus de 10.000 habitants seraient contraintes de procéder à une étude de faisabilité d’un réseau de chaleur, l’expert jugeant qu’"il va falloir multiplier ces derniers par 7 ou 8". "C’est une mesure qui financièrement n’est pas très douloureuse puisque l’Ademe en finance déjà 70% à 80% et que cela coûte environ 30.000 euros. Ce n’est pas une immense contrainte, mais c’est par contre une immense opportunité", plaide-t-il.

Une proposition de loi Sobriété à suivre

Dans un second temps, Amorce entend promouvoir une proposition de loi "sur la maîtrise de l’énergie et l’efficacité énergétique", mais concède être "moins avancé" sur le sujet. Pour Jean-Patrick Masson, vice-président d’Amorce, un tel texte est indispensable dans la mesure où "l’aspect sobriété" est désormais "complétement éclipsé" en l’absence de loi LPEC et où "le positionnement nécessaire de l’État n’est pas clair sur la sobriété". Et Nicolas Garnier de rétorquer "à ceux qui nous disent qu’il y a déjà eu deux lois, que la loi Aper [voir notre article du 13 mars 2023] et la loi de relance du nucléaire [voir notre article du 27 juin 2023], sont deux lois de production, dans lesquelles il n’y a rien sur la sobriété. Et des lois très ‘électriques’ qui plus est". 

Une "accélération" toute relative

Reste que la loi ne fait pas tout… Jean-Patrick Masson déplore même que, paradoxalement, "avec la loi accélération des EnR, on est plutôt sur une pause ! [voir notre article du 22 février] Tout le monde s’est arrêté pour se demander : Où vais-je mettre les choses ?" – évoquant ici l’exercice de désignation des "zones d’accélération" par les communes. En l’espèce, Amorce se fait néanmoins plutôt positive. Nicolas Garnier salue "une très forte mobilisation territoriale. Finalement, les collectivités qui ne donnent pas de son, pas d’image, il y en a moins de 5%. À peu près 20% des communes ont fait le job, certes plus ou moins bien. Mais dans les conditions dans lesquelles cela a été fait, je trouve cela très intéressant". Sur ces quelque 7.000 communes qui se sont déjà livrées à l’exercice, il estime qu’un millier a utilisé l’outil Accèl’EnR que l’association "a élaboré avec la Banque des Territoires et mis à disposition des collectivités", et dont une version destinée aux intercommunalités a été récemment mise en ligne (voir notre article du 19 février). Pour lui, il faut toutefois "s’assurer que l’effort d’identification des potentiels a été réalisé de manière équilibrée, sur toutes les énergies", redoutant le tout photovoltaïque (voir notre article du 25 janvier). 

La carotte et le bâton

Pour lever les freins aux EnR, Amorce promeut différentes mesures, plus ou moins coercitives.

D’abord, régionaliser les appels d’offres sur l’électricité et le gaz pour tenir compte des potentiels de chaque région. "Tout le monde ne peut pas faire de l’éolien en mer", grince Nicolas Garnier.

L’association recommande également d’autoriser le cumul des aides nationales et locales et avec la participation des collectivités aux capitaux des projets. Elle suggère de même de travailler à un meilleur partage de la valeur. "On n’est peut-être pas allé assez loin sur cette question. On a plutôt encouragé des financements participatifs, des retombées pour la collectivité locale. Ce qu’il manque probablement, ce sont des retombées directes pour la population", estime Nicolas Garnier, qui évoque par exemple "des aides à la rénovation énergétique ou de l’actionnariat gratuit dans le parc éolien". Et de souligner qu’Amorce travaille également sur des sujets similaires avec l’agrivoltaïque, "probablement l’un des enjeux les plus sensibles des prochaines années".

Le délégué général suggère encore de travailler avec les architectes des bâtiments de France, vus davantage comme des "freins que des accélérateurs" des EnR, ou encore sur la façon de comptabiliser l’endettement des collectivités en faveur de la transition énergétique. Et pour embarquer les collectivités récalcitrantes, l’association "lance un petit pavé dans la mare" en suggérant de "conditionner un certain nombre d’aides aux collectivités à l’atteinte d’un taux minimal d’EnR par commune" et/ou à la réalisation des zones d’accélération. 

Besoin de coordination…

Reste que pour l’association, d’autres ingrédients, classiques, manquent encore à l’appel.

D’abord, une meilleure coordination de la planification. Si Nicolas Garnier salue "le travail du SGPE qui a réussi à créer une sorte de grille de lecture commune entre l’État et les régions – on est en train de voir comment les régions s’en emparent", il déplore qu’il y ait "plus de flou entre la région et le bloc communal. Or l’enjeu, c’est que les zones d’accélération communales coïncident avec les trajectoires régionales, et que les trajectoires régionales additionnées coïncident avec la trajectoire étatique" (voir notre article du 20 septembre 2022). Amorce propose en conséquence que les CRTE soient désormais signés non seulement par l’État et le bloc communal, mais aussi par la région.  

… et de fonds

"Il faut également que l’on s’assure que l’on contractualise les objectifs et les moyens entre les trois niveaux dans ces CRTE. Si on arrive à faire ça, probablement qu’on aura une cohérence d’ensemble. Mais on en est encore très très loin", ajoute le délégué général. Qui dénonce : "Comment peut-on imaginer qu’une intercommunalité s’engage à une trajectoire sur cinq ou dix ans quand dans le même temps l’État n’arrive pas à s’engager en termes de moyens sur plus d’un an ?" Et de déplorer que "l’année dernière, près de 30 projets de réseaux de chaleur renouvelable ont été bloqués du fait de l’absence de fonds dans le fonds chaleur". Ou de prendre encore l’exemple d’un fonds territorial climat (voir notre article du 14 décembre) toujours dans les limbes : "C’était une avancée majeure, qu’on attendait depuis vingt ans, obtenue au Sénat lors du projet de loi de finances 2024. Elle vise à doter de 4 euros par habitant toute collectivité locale qui valide un plan climat-air-énergie territorial (PCAET). C’est grâce à ce fonds qu’on va pouvoir doter d’une ingénierie territoriale suffisante les collectivités pour porter ces projets de transition énergétique. Cela a été acté, c’était 250 millions d’euros [au sein du fonds vert, la disposition n’ayant finalement pas été retenue dans le PLF – voir la circulaire du 28 décembre 2023 et notre article du 9 janvier]. Après les restrictions budgétaires, c’est devenu 200 millions, nous a dit le cabinet de Christophe Béchu il y a deux semaines [décision actée dans une circulaire du 4 avril – voir notre article du 22 avril]. Sauf qu’on est en juin et que l’on n’a pas encore vu l’ombre d’un euro et qu’on nous annonce maintenant que cela ne sera signé qu’une fois que les COP seront finies. Cela nous amène en 2025…"