Commande publique - La jurisprudence Smirgeomes peut être invoquée devant le juge judiciaire
Dans une ordonnance, datée du 14 janvier dernier, le juge du référé précontractuel du tribunal de commerce de Lille s’est appuyé, pour la première fois, sur la célèbre jurisprudence administrative Smirgeomes pour écarter la demande d’annulation formée par un candidat évincé à l’encontre d’un marché privé conclu sous le régime de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005.
La SA Vilogia, pouvoir adjudicateur soumis à l’ordonnance du 6 juin 2005 et à son décret d’application du 30 décembre 2005, avait publié un avis d’appel d’offres à la concurrence relatif à un marché de location, d’entretien et d’exploitation de compteurs d’eau froide et chaude. Les candidats disposaient d’un délai de 40 jours pour répondre à l’offre de base comprenant deux options. La SA Vilogia a néanmoins publié, dix jours plus tard, un avis rectificatif informant les candidats qu’une troisième option, relative à la facturation des consommations et au recouvrement des impayés, était ajoutée au dossier de consultation et que chaque soumissionnaire était tenu d’y répondre.
La SAS Comptage Immobilier Service, titulaire du précédent marché, n’a pas obtenu le nouveau marché. S’estimant lésée par l’introduction d’une troisième option, la société a saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Lille afin d’obtenir l’annulation de la procédure. La SAS Comptage Immobilier Service, appuyant sa requête sur un arrêt du Conseil d’Etat du 18 décembre 2002, considérait que l’ajout de cette option sans modifier le délai de remise des offres ne lui avait pas permis de remettre une offre concurrentielle. Cette irrégularité devait donc conduire à l’annulation de la procédure et au lancement d’un nouvel appel d’offres.
Ce sont toutefois les arguments présentés par le pouvoir adjudicateur qui vont retenir l’attention du juge judicaire. La SA Vilogia a en effet rappelé que la jurisprudence invoquée par la société requérante "est celle du juge administratif et qu’en vertu de la séparation des pouvoirs, celle-ci ne s’impose pas à la juridiction commerciale". Mais elle précise par ailleurs que si le juge judiciaire décidait malgré tout de faire application de la jurisprudence du Conseil d’Etat, il était également nécessaire "de prendre en compte l’intégralité de la jurisprudence administrative en la matière, en particulier l’arrêt Smirgeomes du 3 octobre 2008". Ce raisonnement a semble-t-il convaincu le juge des référé puisque ce dernier, s’appuyant sur le célèbre arrêt du Conseil d’Etat, a rejeté la demande d’annulation au motif que la société ayant "finalement présenté une offre complète dans les délais requis" ne pouvait avoir été lésée par "les différents manquements prétendument invoqués".
Une très bonne nouvelle pour les pouvoirs adjudicateurs soumis à l'ordonnance du 6 juin 2005 : cette décision devrait limiter les recours abusifs d'entreprises non-lésées, et donc limiter très nettement pour eux le risque de contentieux.
L’Apasp
Référence : Tribunal de commerce de Lille, 14 janvier 2010, n° 2009-05999.
Compétence du juge judicaire pour les contrats de droit privé passés par les pouvoirs adjudicateurs soumis à l’ordonnance du 6 juin 2005
L’article 24 de l’ordonnance du 6 juin 2005 précise qu’en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs des contrats de droit privé, toute personne ayant intérêt à conclure le contrat et susceptible d'être lésée par ce manquement peut demander au président de la juridiction de l'ordre judiciaire compétente ou à son délégué, qui statue en premier et dernier ressort en la forme des référés, à ce que la procédure de passation du contrat soit annulée, suspendue ou que soient supprimées les clauses ou prescriptions qui méconnaissent lesdites obligations.
Cet article 24 de l’ordonnance du 6 juin 2005 a été abrogé. Il est désormais remplacé par l’article 2 de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique.