Des européennes... aux législatives

Les élections européennes de ce dimanche 9 juin, marquées par une poussée relative de l'extrême droite dans plusieurs pays mais le maintien du groupe PPE de centre-droit à la première place du Parlement européen, plongent le paysage politique français dans une situation inédite avec l'annonce d'une dissolution de l'Assemblée nationale. Un casse-tête politique... et logistique, pour les mairies qui vont devoir gérer de nouvelles élections le 30 juin et le 7 juillet.

Pour ce scrutin, où plus de 360 millions d'électeurs européens étaient appelés aux urnes pour désigner 720 eurodéputés, les estimations ont confirmé une progression des droites nationalistes et radicales. La "grande coalition" centriste de la droite (PPE), des sociaux-démocrates (S&D) et des centristes (Renew Europe), au sein de laquelle se forgent traditionnellement les compromis au Parlement européen, devrait toutefois conserver la majorité.

Selon des projections publiées dans la nuit de dimanche à lundi par l'institution elle-même, le PPE décrocherait 189 sièges, les S&D 135 et Renew Europe 83, soit 404 sièges sur un total de 720. Les Verts chuteraient eux à 53 sièges, contre plus de 70 actuellement (voir la projection des résultats à l'échelle européenne et en France sur le site du Parlement européen).

En France, le Rassemblement national mené par Jordan Bardella a dominé le scrutin avec 31,5% des voix, loin devant le parti Renaissance du président Macron. Il décrocherait ainsi 31 des 81 eurodéputés français. Et arrive en tête dans toutes les régions de l'Hexagone (voir les résultats par région, département et commune sur le site du ministère de l'Intérieur).

Une vague européenne

En Allemagne, en dépit des derniers scandales qui ont éclaboussé sa tête de liste, l'extrême droite AfD est créditée de la deuxième place avec 16% des voix, derrière les conservateurs CDU-CSU (30%), mais loin devant les partis de la coalition au pouvoir, sociaux-démocrates (14%) et Verts (12%). En Italie, la cheffe de gouvernement italien, Giorgia Meloni, qui avait fait de cette élection un référendum sur sa personne, semble avoir réussi son pari : son parti post-fasciste, Fratelli d'Italia, arrive en tête avec de 25 à 31% des suffrages. En Autriche, le FPÖ sort victorieux du scrutin (27%), et les Néerlandais, premiers à voter jeudi, ont nettement renforcé le parti d'extrême droite de Geert Wilders. En Pologne, le parti centriste pro-européen du Premier ministre Donald Tusk est arrivé devant le parti nationaliste populiste Droit et Justice (PiS).

Pour autant, l'extrême droite reste divisée au Parlement européen en deux groupes (ID et ECR) dont le rapprochement reste très incertain en raison de leurs importantes divergences, en particulier sur la Russie. "Les voix d'extrême droite et de droite souverainiste ne sont pas additionnables, ceci va limiter leur poids direct dans la législature", a expliqué à l'AFP Sébastien Maillard, de l'Institut Jacques Delors. Mais cela "va inévitablement imprégner le climat politique dans laquelle agira la Commission et la majorité devra en tenir compte", ajoute-t-il. "À défaut de peser directement, l'extrême droite pourra influer insidieusement", estime l'expert. Les droites radicales pourraient se faire entendre sur des dossiers cruciaux : politique agricole, immigration, objectifs climatiques, mesures environnementales…

Le sort d'Ursula von der Leyen en suspens

"Le PPE est le groupe politique le plus puissant (...). Nous construirons un rempart contre les extrêmes de gauche et de droite, nous les arrêterons", a assuré dimanche la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, issue du PPE, et candidate à sa reconduction. Elle devra obtenir l'aval des dirigeants des Vingt-Sept puis un vote favorable des eurodéputés - qui en 2019 ne lui avaient accordé leur confiance qu'à une très courte majorité.

Pendant la campagne électorale, Ursula von der Leyen a courtisé la dirigeante italienne Giorgia Meloni, en qui elle voit une partenaire fréquentable, pro-européenne et pro-Ukraine - au grand dam des alliés libéraux et socialistes du PPE, mais aussi des Verts. "Soutiendrons-nous Ursula von der Leyen ? C'est trop tôt pour le dire. Très clairement, nous sommes prêts à négocier", mais à condition d'exclure tout rapprochement avec Mme Meloni, a soutenu le chef de file écologiste pour les européennes, Bas Eickhout. Il fait de l'approfondissement du Pacte vert "un élément très important" du futur programme de la Commission, alors même que le PPE s'y montre extrêmement réticent.

"Un pari extrêmement risqué"

En France, une campagne électorale laisse immédiatement place à une autre, que l'on n'attendait pas, Emmanuel Macron ayant répondu au score historique du Rassemblement national (RN) en annonçant à 21 heures (dans certains bureaux de vote, on en était encore au dépouillement...) une dissolution de l'Assemblée nationale. Trois semaines éclairs s'ouvrent avant le premier tour des législatives le 30 juin puis le second le 7 juillet, à la veille des Jeux olympiques de Paris (26 juillet - 11 août).

Face à la "montée des nationalistes", le chef de l'État a expliqué vouloir "redonner" aux Français "le choix de notre avenir parlementaire par le vote". Deux ans après les précédentes législatives qui l'avaient privé d'une majorité absolue, il a aussi évoqué le "désordre" du débat parlementaire pour justifier sa décision. Réclamée par le RN, cette dissolution est la sixième sous la Ve République. La dernière, décidée par Jacques Chirac en 1997, avait débouché sur une cohabitation après la victoire de la gauche et la nomination du socialiste Lionel Jospin à Matignon.

C'est un "coup de tonnerre" autant qu'un "coup de poker", au moment où "il y a une très forte volonté de la part des Français de sanctionner le président de la République", souligne la sondeuse Céline Bracq, directrice générale de l'institut Odoxa. Avec la dissolution, Emmanuel Macron fait "un pari extrêmement risqué" même s'"il y aura certainement des comportements de vote très différents" entre législatives et européennes, estime l'historien Jean Garrigues. "Le président a pris les devants de quelque chose qui paraissait à chacun inéluctable", veut croire un membre du gouvernement, à cause du score de près de "40%" pour "l'extrême droite", souligne-t-il, en additionnant RN et Reconquête.

Emmenée par Jordan Bardella, la liste du RN a raflé quelque 31,47% des voix, très loin devant la candidate macroniste Valérie Hayer (14,56%) et la tête de liste du PS, Raphaël Glucksmann, (13,8%). Suivent la France insoumise avec 9,87%, Les Républicains avec 7,24%, la liste EELV avec 5,47% et Reconquête avec 5,46%. Toutes les autres listes étant sous la barre des 5%. Le taux de participation a progressé par rapport à 2019 à 52,5%, quand elle s'était déjà affichée en hausse à 50,12%.

Entre investitures Renaissance et "front populaire"...

Le Rassemblement est "prêt à exercer le pouvoir", a affirmé dimanche Marine Le Pen, avant un bureau exécutif avec Jordan Bardella sur un format mimant un conseil des ministres. Emmanuel Macron a de son côté réuni le gouvernement dans la soirée. Le chef de l'État doit se rendre ce lundi à des commémorations à Tulle et Oradour-sur-Glane, mais a fait savoir qu'il s'exprimera cette semaine pour dire "l'orientation" qu'il croit "juste pour la nation".

Stéphane Séjourné, ministre des Affaires étrangères et patron du parti Renaissance, a lancé un appel "à la mobilisation de toutes les forces républicaines". Les députés sortants "faisant partie du champ républicain" pourront "bénéficier de notre investiture s'ils sont en accord avec le projet présenté", a-t-il annoncé. Combien d'élus du PS ou LR accepteront cette main tendue ?

"On ne veut plus de 'en même temps'. On paye la facture du macronisme là-aussi", a répliqué le chef de file des députés socialistes, Boris Vallaud, auprès de l'AFP. Le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, estimé qu'"un rapport de forces a évolué" entre les partis de gauche après les européennes avec la position décrochée par Raphaël Glucksmann devant Manon Aubry.

En 2022, la gauche avait réussi un tour de force en faisant entrer 151 députés grâce à l'alliance Nupes qui a implosé à l'automne dernier. Est-ce qu'une entente similaire peut être envisagée ? Si sur tous les plateaux TV dimanche soir, on n'avait de cesse de prôner le "rassemblement", le député LFI François Ruffin appelant par exemple à un "front populaire", l'équation sera délicate à résoudre entre socialistes et insoumis, ces derniers ayant déjà lancé leur campagne dimanche par un rassemblement improvisé. Une réunion devait en tout cas se tenir ce lundi "sur un périmètre PS, Place publique, PCF et Écologistes".

"Tout le programme est annulé"

Alors que çà et là dimanche soir, fleurissaient déjà des annonces de candidatures, le temps est suspendu à l'Assemblée nationale. "Tout le programme est annulé. C'est un peu le coup de massue. Personne n'avait vu le coup venir", glisse une source parlementaire. Sur le site de l'Assemblée, on pouvait lire : "Le 9 juin 2024 soir, le président de la République a annoncé la dissolution de l'Assemblée nationale, en application de l'article 12 de la Constitution (…). Un décret sera publié prochainement."

Très concrètement, cela signifie que tous les textes en discussion ou en attente à l'Assemblée partent au pilon. Tout comme les travaux en commission, y compris commissions d'enquête (on songe par exemple à celle sur la protection de l'enfance). Cela bloquera de facto le parcours des textes actuellement entre les mains des sénateurs, tel que le projet de loi Simplification ou le projet de loi Logement.

Selon l'ancien ministre Jean-Luc Urvoas, en vertu de l'article 12 de la Constitution, c'est "le décret de convocation des électeurs qui réglera la question du délai de dépôt des candidatures pour les prochaines législatives". Celui-ci devrait être publié très vite, probablement mardi 11 juin. Le dépôt des candidatures devrait intervenir dès vendredi 14 juin. Dans tous les cas, les délais vont être extrêmement courts pour les appareils politiques comme pour les candidats eux-mêmes pour mener leurs campagnes de terrain. Des délais tout aussi acrobatiques pour les préfectures et les mairies chargées d'organiser le scrutin.

Comment vont faire les mairies ?

Sur X (ex-Twitter), les témoignages et questionnements sur cette question logistique affluaient. "En général, l’impression et la distribution des bulletins de vote dans toutes les mairies de France demande trois mois de déploiement. Je ne comprends même pas comment les impressions et les paiements des imprimeurs habilités à le faire va être possible, comment les partis vont être capables d’avoir les liquidités aussi vite pour payer les imprimeurs et la distribution." "Organiser un scrutin, monter des candidatures, les financer imprimer distribuer la propagande, faire campagne en seulement 21 jours ? C'est impossible." "Je vous invite à réfléchir aux fonctionnements des administrations concernées (commissariats, gendarmeries, mairies) en sous-effectif, devant gérer un flux énorme de juilletistes, dans un agenda déjà complet (sans compter les effectifs affectés aux JO)." "Je sais ce que c'est de préparer les élections car c'est mon boulot, dans mes petites mairies de campagne, c'est déjà compliqué quand on a le temps mais là dans l'urgence…" "Comment les mairies vont organiser des législatives avec du personnel, des élus et des assesseurs en vacances ?" "J'imagine les agents municipaux qui viennent de boucler, et qui se disent qu'ils y retournent pour deux tours..." "Il y a impossibilité matérielle et humaine pour les mairies des grandes villes de préparer une élection en si peu de temps." "Bon, on ne va pas enlever tous les panneaux…"

 

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