Finances publiques: les sévères mises en garde de la Cour des comptes

Dans son rapport sur "la situation et les perspectives des finances publiques" présenté ce  15 juillet, la Cour des comptes décrit "une très mauvaise année" 2023 et juge sévèrement les prévisions à moyen terme du gouvernement, qui seraient à la fois peu documentées et "trop optimistes". Et qui ne tiendraient pas compte des surcoûts liés au réchauffement climatique et à la transition énergétique. Le rapport pointe au passage la hausse des dépenses des collectivités, tant en fonctionnement qu'en investissement.

Après "une très mauvaise année" 2023, les finances publiques françaises sont dans "une situation inquiétante" et la trajectoire fixée par le gouvernement sortant pour les assainir d'ici à 2027 repose sur des "objectifs peu réalistes" : dans son rapport de 147 pages sur "la situation et les perspectives des finances publiques" présenté ce lundi 15 juillet, la Cour des comptes dresse un bilan préoccupant des comptes publics, malmenés par les crises sanitaire et inflationniste et risquant de pâtir de l'incertitude post-législatives. Et ce, au moment même "où la Commission européenne a annoncé qu’elle proposerait l’ouverture d’une procédure pour déficit excessif à l’encontre de la France". "À force d’avoir différé de véritables efforts d’ajustement structurel, la dette publique, emportée par la réitération des déficits et par son poids, affiche un coût de plus en plus élevé qui contraint toutes les autres dépenses, obère la capacité d’investissement du pays et l’expose dangereusement en cas de nouveau choc macroéconomique", écrit la Cour.

"Le déficit public, loin de se résorber, s’est établi à 5,5 points de PIB, dégradé de 0,7 point par rapport à 2022 et 0,6 point au-dessus des prévisions gouvernementales", ce qui "a rendu de fait caduque la trajectoire de la loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour 2023-2027 adoptée en décembre 2023" et "a obligé le gouvernement à présenter une nouvelle trajectoire pluriannuelle dans le programme de stabilité communiqué à la Commission européenne le 17 avril dernier" notent d'emblée les magistrats.

Et ils jugent sévèrement ces prévisions à moyen terme du gouvernement en sursis tels que détaillés dans le programme de stabilité (PSTAB) : celui-ci prévoit un retour "in extremis" en 2027 sous les 3% de PIB du déficit public, malgré un dérapage à 5,5% en 2023 (au lieu de 4,9% anticipés). Ce document vise un déficit de 5,1% en 2024, qui diminuerait progressivement à 2,9% en 2027. L'endettement s'établirait à 112% en 2027 - soit plus qu'en 2023 (109,9% selon l'Insee). "Cette trajectoire, peu ambitieuse dans ses cibles de déficit et de dette (...), soulève une question de crédibilité", écrit la Cour, sans préjuger de la construction du budget 2025 par le futur gouvernement. Ces "objectifs peu réalistes" reposent sur des hypothèses de croissance "trop optimistes" et supposent des économies en dépense "sans précédent" tout comme "des hausses importantes des prélèvements obligatoires qui ne sont pas précisées", souligne-t-elle.

Quelles hausses fiscales ?

"La trajectoire du programme de stabilité intègre des mesures de hausses d'impôts d'ampleur, à hauteur de 15,0 milliards d'euros en 2025 et de 6,2 milliards d'euros en 2026, soit 21,2 milliards à cet horizon", peut-on lire dans le rapport. Pour expliquer ces 21 milliards d'euros de prélèvements supplémentaire, le ministre Bruno Le Maire, qui s'est exprimé depuis Bruxelles, met en avant la fin du bouclier tarifaire destiné à limiter les hausses des tarifs réglementés sur l'électricité. Mais cette manne financière a bien été identifiée par la Cour des comptes, qui évalue le gain issu de cette extinction du bouclier tarifaire à "4 milliards d'euros en 2025". "Pour le reste, on n'a aucun élément", relève Carine Camby, présidente de la première chambre de la Cour des comptes. "Ce n'est pas du tout documenté. Il n'y a absolument pas d'éléments précis pour dire à quoi ce serait dû", poursuit-elle. Reste donc 17 milliards de prélèvements obligatoires dont la provenance est à éclaircir. Pour cela, Bruno Le Maire mise sur un retour à "une élasticité plus normale que celle que nous avons connue en 2023" : "Le retour à une élasticité plus normale, non pas de 0,4 mais de l'ordre de 1 s'accompagne mécaniquement d'une augmentation des recettes fiscales", indique Bruno Le Maire.

Plus globalement, c'est l'ensemble du "double effort en dépenses et en recettes" qui ne serait pas "documenté" : "Rien ne permet d’anticiper à ce stade que les ambitions en matière de dépense, qui ont déjà été affichées à ce niveau par le passé mais ne se sont jamais pleinement concrétisées, se réaliseront cette fois-ci entièrement". Il faudrait donc aujourd'hui travailler "sur la base de prévisions plus réalistes et plus crédibles que ce n’est le cas aujourd’hui", peut-on lire. "Les scénarios alternatifs testés par la Cour des comptes montrent que tout écart par rapport aux prévisions de croissance, de dépenses ou de recettes suffirait à faire dérailler la trajectoire et à manquer les cibles de déficit et de dette pour 2027", prévient la juridiction financière administrative.

Budgéter la transition énergétique

De surcroît, les prévisions gouvernementales à moyen terme n'intègrent "pas pleinement" les enjeux liés au réchauffement climatique et à la transition énergétique. "Or, que ce soit en matière de croissance, d'investissements ou d'érosion de la fiscalité, cette transition a un coût qui pèsera nécessairement sur les finances publiques", relève la Cour, qui dédie une partie importante de son rapport à cet enjeu, plaidant pour "une véritable intégration de la transition énergétique dans la programmation des finances publiques". Mais aussi pour "une clarification de la répartition des efforts entre la sphère publique (État, collectivités locales et administrations de sécurité sociale), et les acteurs privés (ménages et entreprises)" (on retrouve là une problématique que vient de développer l'institut I4D – voir notre article du 12 juillet).

La Cour estime les investissements supplémentaires nécessaires à l’atténuation du changement climatique et à la transition énergétique à "un surcroît de plus de 60 milliards d'euros par an en 2030". Or, souligne-t-elle, "les marges de financement par les administrations publiques sont particulièrement étroites, et rendues encore plus ténues par l’érosion attendue des recettes de fiscalité sur les carburants et par l’impact négatif du réchauffement et de la transition sur la croissance économique". Pas question toutefois de renoncer, car, écrit-elle, "l’inaction climatique, qui aboutirait à un réchauffement incontrôlé, se traduirait elle aussi par des coûts très élevés". Malgré tout cela… "cet impact spécifique n’est pas identifié en tant que tel, ni par la loi de programmation des finances publiques, ni par le programme de stabilité".

Dès 2024...

Dès 2024, des "risques importants" pèsent sur l'atteinte des objectifs affichés par le gouvernement, dont celui d'un dérapage des dépenses alors que la crise des agriculteurs, celle en Nouvelle-Calédonie ou l'organisation des Jeux olympiques ont nécessité de délier les cordons de la bourse. Pour 2024, l'Insee anticipe toutefois une croissance de 1,1% du PIB, un peu plus que la prévision du gouvernement (1%). La Cour pointe aussi les incertitudes autour du projet de taxe sur les rentes, censé rapporter 3 milliards d'euros.

"Cette situation française contraste avec celle de nos partenaires européens, qui ont commencé à réduire leurs déficits et leurs dettes. Ce n'est ni satisfaisant ni acceptable", tacle Pierre Moscovici. La deuxième économie de la zone euro a été épinglée par la Commission européenne pour déficit excessif - la procédure devrait être formellement ouverte cette semaine - et pourrait subir une nouvelle dégradation de sa note souveraine par une agence de notation, après celle décidée par S&P fin mai.

Des collectivités trop dépensières ?

La Cour est critique vis-à-vis de l'Etat… mais aussi des collectivités. Côté dépenses en effet, elle considère qu'en 2023, "si l’État, confronté à l’atonie de ses recettes fiscales en fin d’année, a respecté ses objectifs – peu ambitieux – de dépense, cela n’a pas été le cas des administrations sociales et des collectivités locales" : "Les dépenses des administrations publiques locales ont nettement dépassé les objectifs fixés par la loi de programmation des finances publiques, qui prévoyait une stabilité des dépenses réelles de fonctionnement des collectivités en volume. En exécution, ces dépenses ont été supérieures de 1 point à l’inflation, soit environ 2 milliards d'euros de dépense au-dessus de la prévision". Et la Cour de pointer "l’absence de mécanisme contraignant sur les dépenses de fonctionnement des collectivités". Certes, les collectivités ont subi certaines hausses, entre autres dans la mesure où "en matière de dépenses de fonctionnement, les factures d’énergie et d’alimentation s'alourdissent pour les services d’accueil et de logement, et concernent en particulier les communes".

Le rapport rappelle que les 10 milliards d'euros d’ajustement supplémentaires annoncés en avril 2024 et intégrés dans la prévision du programme de stabilité, qui n’ont pas encore été mises en œuvre, comprennent 2 milliards d'euros d’économies sur les dépenses de fonctionnement des collectivités locales, correspondent à "une baisse en volume de -0,5 % des dépenses de fonctionnement local en 2024, par rapport à une référence où elles augmenteraient en volume d’environ 0,5 % en 2024". Mais la rue de Cambon considère que ces économies annoncées sur les dépenses "ne peuvent être considérées comme des économies additionnelles puisqu’une diminution de 0,5 % en volume de ces dépenses figurait déjà dans la loi de programmation des finances publiques 2023-2027 et en loi de finances initiale pour 2024".

Et puis il y a aussi les dépenses d'investissement des administrations publiques locales, qui ont "nettement excédé la prévision, pour un montant supplémentaire de 2 milliards d'euros" (+12,2 %). La Cour rappelle avoir "montré à plusieurs reprises que la dépense des collectivités était corrélée au niveau de leurs recettes (lesquelles ont davantage été conformes aux attentes en 2023) plus qu’à tout autre facteur" (donc y compris le facteur cycle électoral). 

Résultat : "Le solde des administrations publiques locales, qui était équilibré en 2021 et 2022, devient déficitaire à hauteur de 9,9 milliards d'euros du fait d’une dépense dynamique (+7,0 %) – dans un contexte de hausse des transferts de l’État en faveur des collectivités – et, dans une moindre mesure, d’une baisse des recettes de droits de mutation à titre onéreux".

Des réformes fiscales qui coûtent cher

La Cour mentionne par ailleurs certaines réformes fiscales ayant impacté les collectivités malgré elles : "Les mesures qui dégradent de façon pérenne le déficit public (- 6,7 milliards d'euros) sont principalement la baisse des anciens impôts locaux, avec l’achèvement de la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales (- 2,5 milliards) et la poursuite de la réduction de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), transférée à l’État en 2023 (- 4,2 milliards)". Tout en relevant que "en sens inverse, les hausses des taux des taxes foncières décidées par les collectivités territoriales (+1,8 milliards) constituent les principales mesures de hausses discrétionnaires de prélèvements obligatoires en 2023". S'intéressant par ailleurs à la TVA, elle estime que la "modification de la répartition de la TVA entre administrations publiques a été globalement défavorable à l’État depuis quatre ans, tandis que les règles de compensation des pertes d’impôts locaux ont au contraire fait bénéficier les collectivités territoriales de l’intégralité de l’augmentation des recettes de TVA".

Pour des "réformes pérennes"

En conclusion, le rapport estime "indispensable d'engager résolument l'effort de réduction du déficit public pour replacer la dette sur une trajectoire descendante", d'autant que la charge de la dette va croître, pour atteindre 72,3 milliards d'euros en 2027, selon les prévisions du gouvernement. "Réduire notre dette est une ardente obligation", quel que soit le gouvernement qui sera finalement formé après les élections législatives anticipées, affirme le premier président de la Cour des comptes. "Il y a plusieurs façons d'y parvenir, c'est la démocratie, mais cet impératif doit être partagé", insiste-t-il. Pour la Cour, "la France gagnerait à prendre les devants et à afficher clairement par quelles réformes elle entend respecter la trajectoire", avec trois leviers concomitants jugés indispensables : des "réformes pérennes", des efforts portant "prioritairement sur les dépenses les moins pertinentes et en explicitant la contribution attendue des hausses d’impôt" et une "répartition entre les ménages, les entreprises et les administrations publiques – et, au sein de ces dernières, entre État, sécurité sociale et collectivités".

Dans une réponse annexée au rapport, le ministère de l'Economie et des Finances conteste certaines conclusions. Il rappelle avoir beaucoup déboursé pour protéger ménages et entreprises des crises survenues ces dernières années et estime que, sans cela, "la France n'aurait pas été parmi les premiers pays européens à retrouver un niveau de PIB antérieur à la crise du Covid". "La crédibilité de notre gestion budgétaire est attestée par le maintien de la notation française par la majeure partie des agences de notation (...) et par la stabilité" de l'écart de taux d'intérêt d'emprunt avec l'Allemagne "jusqu'à l'annonce récente de la dissolution de l'Assemblée nationale", ajoute-t-il.

 

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