"Action coeur de ville" : l'exécutif se projette après 2022
Clôturant la quatrième rencontre nationale Action cœur de ville, mardi 7 septembre, le président de la République a confirmé la poursuite du programme jusqu'en 2026. Il a promis 350 millions d’euros supplémentaires (issus de fonds européens), ainsi que la pérennisation du fonds Friches. Le programme sera en outre élargi aux quartiers, zones de gares et entrées de villes. La ministre Jacqueline Gourault lance une concertation pour définir la feuille de route de l’acte II. Trois axes se dessinent : vieillissement de la population, sobriété foncière et relocalisation de l’activité productive.
Dans la dernière ligne droite d’un quinquennat marqué par la colère de la "France périphérique", le président de la République a tenu à venir lui-même ponctuer la quatrième rencontre nationale Action cœur de ville (ACV), le programme phare de la mandature en matière d’aménagement du territoire. "Il y avait urgence à agir", a déclaré Emmanuel Macron, saluant une "méthode radicalement nouvelle" qui a présidé à la mise en œuvre de ce programme de revitalisation de centres de 234 villes moyennes (222 territoires). "Vous avez réalisé collectivement le plus bel exercice de décentralisation et de déconcentration dont notre pays avait besoin", a-t-il dit, devant un parterre de maires réunis sous l’égide de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), au milieu des moulages de la Cité de l’architecture et du patrimoine, à Paris (petit clin d’œil de l’histoire : la plupart de ces moulages proviennent des cathédrales de villes moyennes). "Nous avons très souvent confondu dans notre pays les compétences et les responsabilités. Tout le monde est volontaire pour prendre des compétences, rares sont ceux qui sont volontaires pour prendre les responsabilités qui vont avec", a-t-il tancé, pointant les "très très longues heures, voire des milliers d’heures pour savoir comment on passe le couteau, généralement c’est tous les cinq ans". Allusion à peine voilée au projet de loi "3DS".
S’il a été finalement assez peu question du bilan du programme lors de cette journée - même si tout le monde s’accorde à dire que l’attractivité des villes moyennes s’est renforcée, notamment sous l’effet de la crise sanitaire - l’exécutif a pu poser les jalons de l’après-2022. Puisque, comme l’avait annoncé le Premier ministre le 8 juillet au congrès des villes moyennes à Blois (voir notre article), le programme qui devait s’achever en 2022 sera prolongé sur la durée du mandat municipal, soit jusqu’en 2026.
Pérennisation du fonds Friches
Alors qu’en ouverture, la ministre de la Cohésion des territoires, Jacqueline Gourault, avait pu dévoiler les principaux axes sur lesquels devrait s’organiser l’acte II du programme, le chef de l’État a fait quelques annonces en termes de financement : 350 millions d’euros supplémentaires issus des "fonds européens" viendront ainsi "renforcer les centralités dans les territoires dès l’année prochaine". Les "ministres de tutelle" seront mis à contribution pour répartir ces crédits. Emmanuel Macron s’est aussi tourné vers Éric Lombard, le directeur général de la Caisse des Dépôts, pour lui demander de "se mobiliser pour trouver des financements". Il a aussi annoncé la "pérennisation" du fonds Friches lancé dans le cadre du plan de relance, "pour renforcer les centralités dès l’année prochaine". "Il est indispensable pour votre capacité à recoudre l’urbain", a-t-il insisté. Le fonds permet de faire sortir des opérations lourdes de réhabilitation de friches industrielles ou commerciales. Doté initialement de 300 millions d’euros dans le cadre du plan de relance, il a connu un grand succès (600 projets locaux ont d’ores et déjà été financés) et s’est vu abonder de 350 millions d’euros supplémentaires. Les lauréats du dernier appel à projets seront dévoilés au mois d’octobre. Selon Jacqueline Gourault, 84 territoires du programme ACV en ont déjà bénéficié. À Montbrison (Loire), l’usine Gégé, à l’abandon depuis 40 ans, va ainsi être transformée en quartier intergénérationnel. À Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire), une ancienne usine va être reconvertie en logements… "Dans toute la France, nous voyons se débloquer des projets qui parfois étaient restés dans l’attente depuis des décennies, faute d’équilibre économique. Ces friches qui étaient un symbole de dévitalisation deviennent aujourd’hui les témoins d’un renouveau économique et résidentiel", s’est réjouie la ministre.
Élargissement aux quartiers, entrées de villes et gares
La décision de pérenniser le fonds Friches a été aussi saluée par les ministres de la Transition écologique et du Logement, Barbara Pompili et Emmanuelle Wargon, pour qui le fonds participe de l’objectif de lutte contre l’artificialisation des sols. "Cet engagement permettra de soutenir l’offre de logements et l’activité économique locale des territoires concernés, sans artificialiser de nouvelles terres agricoles ou naturelles", ont-elles fait valoir dans un communiqué du 8 septembre.
Emmanuel Macron a par ailleurs confirmé la prolongation du "Denormandie" dans l'ancien après 2022 (instaurée en 2019, cette défiscalisation pour les propriétaires bailleurs investissant dans l’ancien devait s’achever au 31 décembre 2022). Autre annonce importante du président : l’extension du programme aux "quartiers, aux entrées de villes et aux zones de gare". Il a enfin promis de poursuivre le mouvement de délocalisations de services publics initié notamment par la DGFIP (voir notre article), et confirmé la création de 100 manufactures de proximité.
En ouverture de la rencontre, Jacqueline Gourault a posé les jalons de l’acte II. Trois axes se dégagent des premières discussions : la "résilience face au changement climatique", "la transition démographique" et le "renouveau économique et la relocalisation de l’activité productive".
"On va remplacer Charles Trenet par Charlie Watts"
Les villes moyennes vont en effet être confrontées au vieillissement de la population. Alors que le gouvernement a reporté sine die son projet de loi sur la dépendance, c’est pour lui un moyen de montrer que les "seniors" ne sont pas oubliés. On assiste à "un phénomène tout à fait particulier, nouveau : l’explosion des 75/84 ans qui vont passer de 4 millions aujourd’hui à 6 millions en 2030, soit une progression de 47% en l’espace d’une décennie. On n’a jamais vu ça", a affirmé Luc Broussy, président de France Silver Eco, qui a rendu un rapport au gouvernement le 26 mai (voir notre article). Il s’agit de la génération née après-guerre qui a connu mai 68. "Dans les Ehpad, on va remplacer Charles Trenet par Charlie Watts", a-t-il plaisanté, évoquant un véritable "phénomène sociologique". "C’est une génération qui ne voudra pas être passive sur son vieillissement." Les élus vont être confrontés à quatre grands défis : l’adaptation des logements (l'habitat inclusif), "l’urbanisme bienveillant" pour les personnes âgées (jusqu’aux toilettes publiques, avec un nombre croissant de personnes incontinentes), les transports publics jugés "carrément hostiles" aux personnes âgées, et les liens sociaux (300.000 personnes âgées sont isolées). Les seniors doivent être vus "comme un facteur de revitalisation et pas comme un boulet". Le maire du Lamentin (Martinique), David Zobda, a alerté sur le "vieillissement accéléré" de l’outre-mer. "En 2050, la Martinique sera la région la plus vieille de France et d’Europe" : le vieillissement se double d’un exode massif des jeunes (3.500 partent chaque année).
Pour Jacqueline Gourault, le "pacte générationnel" devra aussi passer par l’accueil des étudiants et des jeunes actifs, et la capacité des villes à les "retenir en leur proposant un parcours résidentiel".
"Ni une sanctuarisation, ni une muséification"
Autre gros enjeu pour les villes moyennes : la sobriété foncière. Alors que l’attractivité retrouvée a déjà des effets sur l’immobilier (+7% du prix du m2 entre 2018 et 2020), il faudra pouvoir concilier le besoin d’espace de ces nouveaux habitants avec les impératifs de lutte contre l’étalement. Ce qui n’est pas une mince affaire sachant que le modèle privilégié dans les recherches immobilières est toujours celui des maisons individuelles. Hélène Peskine, secrétaire permanente du Plan urbanisme construction architecture (Puca), a défendu une "vision positive de la lutte contre l’artificialisation des sols". Elle prône une politique qui n’est "ni une sanctuarisation, ni une muséification" mais une politique d’aménagement reposant sur quatre piliers : renaturer (remettre de la nature en ville), intensifier, transformer (ce qui passe par la réhabilitation des nombreuses friches souvent héritées de la désindustrialisation) et densifier. Le Puca est déjà aux avant-postes avec les 7 territoires pilotes dans la sobriété foncière (voir notre article). De nombreux exemples sont venus émailler la rencontre. "On peut créer des microclimats avec l’eau et les plantes", a ainsi illustré l’architecte-paysagiste Bas Smets, citant l’exemple d’un étang à Arles (Bouches-du-Rhône), où 80.000 plantes ont permis une réduction de 8°C de la température. Dans le quartier de La Défense, 100 arbres ont été plantés dans 52 centimètres de terre... "Il faut réintroduire de la nature là où elle n’aurait pas pu venir elle-même", a souligné l’architecte.
Enfin, le troisième gros enjeu de cet acte II sera la transformation économique et la relocalisation d’activités. Auteur d’un rapport remarqué pour l’Institut Montaigne publié au mois de mars (voir notre article), Paul Hermelin, président de Capgemini et ancien conseiller municipal d’Avignon, a estimé que le "complexe métropolitain" était loin d’appartenir au passé. "En France, on en fait beaucoup trop", en tout cas plus que dans les autres pays de l’OCDE, a-t-il fait observer : les quinze plus grandes métropoles concentrent 81% de la croissance économique alors qu’elles ne représentent que 30% de la population française, a-t-il rappelé, indiquant porter "à bout de bras" un pôle de la French Tech, sans le soutien du gouvernement, ni de la métropole marseillaise.
"Finir ce qui est engagé"
Un des sujets majeurs sera de "travailler sur le couple logement/emploi", a insisté l’économiste Nicolas Bouzou. Le télétravail est encore sous-estimé, selon lui. Mais tout le monde s’accorde à dire qu’il faut mettre le paquet sur les "réseaux" : numérique bien sûr, mais aussi de transports, pour relier les villes moyennes entre elles.
Jacqueline Gourault a indiqué avoir demandé à France Stratégie de "faire la lumière sur les évolutions récentes du tissu économique des villes moyennes". Les premiers résultats seront rendus publics "d’ici la fin de l’année".
Mais ces pistes de travail ne sont que le début de la réflexion. La ministre a chargé Rollon Mouchel-Blaisot, le directeur du programme Action coeur de ville, de constituer une "taskforce" avec les partenaires financiers d’Action cœur de ville (Banque des Territoires, Anah, Action Logement). Cette équipe viendra, d’ici le premier trimestre 2022, "préciser les périmètres d’intervention", "identifier les nouveaux thèmes sur lesquels nous devrons enrichir la boîte à outils" et "estimer aussi les besoins financiers correspondants". Les élus seront "étroitement associés". Alors que 3 milliards d’euros sur les 5 initialement prévus ont été engagés à ce jour, les partenaires ont tenu à souligner l’importance de "finir ce qui est engagé". Selon l’Élysée, les 2 milliards restants le seront "dans les quinze mois à venir".