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Elections - Conseils départementaux : l'ère de la parité, mais...

Après les scrutins des 22 et 29 mars, les femmes représentent la moitié des conseillers départementaux, ce qui place l'institution à l'avant-garde en matière de parité. Mais les hommes, ultra-majoritaires parmi les élus sortants, pourraient mettre en œuvre des stratégies de contournement pour éviter de céder les places du pouvoir. La composition de certains binômes et leur attitude pendant la campagne a pu en témoigner. Rendez-vous ce 2 avril pour le "troisième tour".

Depuis ce dimanche 29 mars au soir, on a forcément beaucoup commenté la victoire des partis de droite traditionnels et l'enracinement du Front national auxquels ont donné lieu les élections départementales. On a en revanche assez peu évoqué un phénomène inédit dont les conséquences seront nombreuses et durables : l'entrée massive de femmes au sein des conseils départementaux, et de facto d'abord de femmes de l'UMP et de l'UDI, deux partis faisant plutôt figure de mauvais élèves en termes de parité.
A l'Assemblée des départements de France (ADF), un proche des présidents de gauche sortants estime que l'élection de 50% de femmes parmi les conseillers départementaux s'apparente à "un printemps de la démocratie". Avec 13,8% de femmes en leur sein, les conseils généraux étaient très largement restés des bastions masculins, alors que d'autres institutions, notamment les conseils municipaux et régionaux, accueillent déjà davantage de femmes. Désormais, les conseils départementaux "seront des laboratoires de l'égalité entre les femmes et les hommes en politique", s'enthousiasme le collaborateur de l'ADF. "Les politiques départementales vont prendre un coup de fouet !", en déduit-il.

La parité aussi pour les fonctions exécutives

On doit cette avancée au fameux binôme institué par la loi du 17 mai 2013 sur les élections locales, dite "loi Valls". Revenant sur le conseiller territorial imaginé par l'UMP, il s'agissait pour le gouvernement de faire avancer la parité sans remettre en cause le scrutin majoritaire auquel les conseillers généraux sont viscéralement attachés. Cela l'a conduit à emprunter à la délégation sénatoriale aux droits des femmes le principe du binôme paritaire, formule qu'elle avait proposé dans un rapport de juin 2010. En fait, l'idée aurait été inventée dès 1992 par la sociologue Françoise Gaspard et la journaliste Claude Servan-Schreiber, dans un livre co-écrit avec Anne Le Gall intitulé "Au pouvoir citoyennes ! Liberté, Egalité, Parité".
Le législateur a complété le binôme par l'instauration de règles contraignantes pour l'élection des vice-présidents et de la commission permanente du conseil départemental (lire notre article du 30 mars 2015). Celles-ci vont être appliquées à l'occasion du "troisième tour", ce jeudi 2 avril, et permettront de conforter la place des femmes aux fonctions exécutives des conseils départementaux.
Cela signifie-t-il pour autant que, dès à présent, les conseils départementaux vont être des lieux dans lesquels s'exerce une réelle démocratie paritaire supposant une distribution égalitaire des pouvoirs entre les deux sexes ? Réjane Sénac, chargée de recherche CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) en doute fort. Les hommes pourraient en effet déployer des stratégies de contournement qui vont avoir pour effet de faire des femmes davantage "des complémentaires" que "des paires". Ce ne serait pas une surprise. "Des attitudes assignant la femme à une position maternante alors que l'homme reste le numéro un ont déjà été observées dans le cadre de la vie politique municipale et régionale", fait remarquer celle qui est aussi présidente de la commission Parité en matière politique du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes.

Des tandems volontairement déséquilibrés ?

Certains élus départementaux semblent d'ailleurs avoir pris soin de choisir le profil de leur colistière pour ne pas trop souffrir de concurrence. Ces femmes débutent parfois en politique. D'autres n'ont pour bagage politique qu'un mandat de conseiller municipal. Manquant certainement encore d'assurance, elles se montrent discrètes devant les caméras ou les micros des journalistes durant la campagne et depuis leur élection dimanche. Souvent même, elles s'effacent, préférant que le "patron" du tandem, qui peut être un conseiller général sortant, prenne la parole. C'est en tout cas ce qu'a pu observer Alain Faure, directeur de recherche au CNRS en science politique (laboratoire Pacte, université de Grenoble) au cours d'un séjour en Corse qu'il a effectué durant la campagne pour les élections départementales. L'attitude de retrait adoptée par les femmes n'aurait fait que conforter la tendance naturelle des médias locaux à les placer au second plan.
De ce cas, les femmes font peu d'ombre à des hommes que le cumul des mandats, en particulier, a habitué à mettre sur le devant de la scène. D'autres femmes en revanche ont gagné leur place dans le binôme au nom d'une rentabilité électorale espérée auprès de certaines communautés ou certains quartiers du fait de leur ancrage associatif ou territorial et/ou de leur origine ethnoculturelle, assure Réjane Sénac. Au total donc, les femmes seraient inclues en politique dans une "égalité sous conditions", pour reprendre la thèse de l'ouvrage* qu'elle s'apprête à sortir.

Une répartition sexuée des fonctions

La difficulté pour les hommes à partager le pouvoir devrait aussi s'exprimer, entre autres, par la répartition des attributions entre les vice-présidents des conseils départementaux. Du fait de leurs compétences ou appétences supposées "naturelles" pour le social, l'enfance, la famille, les femmes devraient obtenir logiquement les dossiers se référant à ces thèmes. C'est ce que l'on constate déjà au niveau municipal.
Enfin, en l'absence de règles contraignantes en matière de parité pour l'élection des présidents des conseils départementaux, assez peu de femmes devraient être à la tête des nouvelles institutions au soir du 2 avril. La présence dans les assemblées départementales de la moitié de femmes pourrait toutefois permettre un progrès dans ce domaine, alors qu'on ne comptabilisait que six présidentes de conseils généraux au début de l'année.
Autrement dit, malgré le binôme et ses effets immédiats sur la parité, il faudra sans doute attendre encore plusieurs années pour que l'on assiste à un réel partage du pouvoir entre les sexes au sein des assemblées départementales.

Thomas Beurey / Projets publics

*Réjane Sénac, "L'Egalité sous conditions. Genre, parité, diversité". A paraître aux Presses de Sciences po.