Maintien des activités productives en ville : un portage politique encore balbutiant

A Bordeaux et à Rennes, comme dans d'autres métropoles européennes, de nombreux leviers sont activés pour maintenir l'activité productive mais le portage politique reste relativement faible en dehors du soutien aux activités de l'ESS, à l'économie circulaire et aux industries de pointe. D'après l'ouvrage "Aménager la ville productive" de la Fabrique de l'industrie, paru fin mars 2024, l'action publique dans ce domaine se caractérise surtout par des expérimentations.

Si la réindustrialisation est sur toutes les lèvres, le retour des usines n'est pas sans poser de difficulté. En témoigne le débat public houleux qui entoure en ce moment le projet de mine de lithium, dans l'Allier. Les tensions sont plus vives encore dans le tissu urbain où le foncier est plus rare et où la question de "l'acceptabilité" de la population se pose avec acuité. Dans un ouvrage "Aménager la ville productive" paru fin mars 2024, la Fabrique de l'industrie a voulu explorer ces enjeux, à l'aune des exemples de Rennes et de Bordeaux et d'autres métropoles européennes. "Le champ de l'action publique ciblant les activités productives en Europe est pour l'heure en phase de structuration, se caractérisant avant tout par des expérimentations diverses plus que par un cadre homogène et stabilisé", concluent les auteurs.

L'ouvrage, qui s’inscrit dans le programme de recherche "Ville productive", lancé par le Puca en 2020 en partenariat avec l’Institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts, analyse les principaux instruments d'aménagements activés pour "maintenir ou faire revenir les activités productives" (il rappelle à cet égard que depuis la loi Notre l’aménagement économique et l’immobilier d’entreprise sont des compétences exclusives des EPCI). Et le constat est clair : dans ces territoires, en dehors du soutien aux activités de l'économie sociale et solidaire (ESS) et de l'économie circulaire et aux industries de pointe robotisées, le portage politique local en faveur du maintien des activités productives est encore balbutiant.

Eloignement du centre

La Fabrique revient sur les trajectoires distinctes des deux métropoles régionales, avec un développement historique à Bordeaux grâce au port, et plus tardif pour Rennes. Elles disposent aussi de spécificités sectorielles différentes : l'aérospatial pour Bordeaux, les télécommunications pour Rennes par exemple. Bénéficiant du label French Tech, elles sont toutefois inscrites dans une même stratégie de développement de l'innovation, de l'économie numérique et de soutien aux startups. Mais elles présentent des dynamiques de localisation des activités productives relativement similaires. "Entre 1995 et 2019, ces activités ont en partie été évincées des centres-villes du fait notamment de l'augmentation du prix du foncier, détaillent les auteurs, elles se sont implantées le long des infrastructures routières, et de manière homogène dans l'espace périphérique". Toutefois l'éloignement des centres historiques ne signifie pas "disparition". "Dans les deux villes, ce mouvement s’est caractérisé par une répartition spatiale des activités à l’intérieur d’une distance admissible pour les trajets domicile-travail, guidée par les infrastructures routières", indique le document, précisant que certaines entreprises ont gardé "une antenne dans des quartiers ou des communes du centre, tandis que l’essentiel de l’activité est déployé ailleurs dans l’aire urbaine". Les auteurs relèvent au passage la situation de Bordeaux qui, après l'élection du maire écologiste Pierre Hurmic en 2020, a freiné "la course au développement économique" mais qui connait depuis "un processus de métropolisation sans précédent" : "explosion démographique, diversification des mobilités, interdépendance avec des territoires de plus en plus éloignés du centre, part grandissante des emplois liés aux 'fonctions métropolitaines' (conception-recherche, prestations intellectuelles, commerce interentreprises, gestion, culture et loisirs), au détriment des emplois manufacturiers et de la construction, donc d’une partie des activités productives."

Des leviers opérationnels activés sans objectif quantitatif

Les leviers que les deux villes activent aujourd'hui pour maintenir l'activité productive sont nombreux. La Fabrique de l'industrie cite notamment le zonage du plan local d'urbanisme (PLU) qui permet de réserver du foncier aux activités productives, la constitution de réserves foncières à vocation économique pour lutter contre l'augmentation des valeurs foncières, ou encore la mutualisation ou la verticalisation des activités pour optimiser l'espace. Les occupations transitoires et pépinières sont également utilisées par les villes françaises pour favoriser l'implantation des activités issues de l'ESS et de l'économie circulaire. Enfin, pour inciter les acteurs privés à participer aux aménagements, les collectivités s'appuient aussi sur des appels à projets. Un dispositif particulièrement développé à Bordeaux.

Et dans certains projets, l'ensemble de ces leviers peuvent être combinés, comme c'est le cas à Bordeaux pour l'Aéroparc de Bordeaux-Mérignac ou à La Janais à Rennes, deux exemples largement détaillés dans l'ouvrage.

Mais globalement, ces leviers opérationnels sont activés "sans que des objectifs, notamment quantitatifs, ne soient annoncés ni partagés, en d'autres termes sans qu'une politique publique ne soit formellement établie, indique le document, or, un portage politique fort est nécessaire afin que les actions déployées s'inscrivent dans une même direction, qu'elles soient coordonnées et articulées".

Pour la Fabrique, dans ces deux villes, les leviers d'actions sont ainsi activés sans que les activités ciblées ne soient précisément décrites, et sans portage politique fort. "On pourrait parler d'action publique sans politique publique !", insistent les auteurs.

A Berlin, une concurrence féroce avec le logement

Et l'analyse de la stratégie d'autres villes européennes, comme Berlin, Vienne et Turin notamment, ne semble pas plus concluante quant aux politiques mises en place pour maintenir les activités productives sur le territoire.

A Vienne, une stratégie en faveur des activités productives a été établie en 2017 (Fachkonzept Produktive Stadt) qui affiche l'objectif de consacrer au moins 5% du territoire à des fins de production, avec trois axes : la mise à disposition de sites attractifs, abordables et revalorisés pour l'usage des entreprises, le déploiement d'une stratégie appropriée de développement du foncier et la mise en place de structures de coopération solides avec une réflexion à l'échelle régionale. Mais la portée de la stratégie n'est pas encore démontrée.

A Berlin, la place accordée aux activités industrielles est importante dans les documents existants mais la stratégie est difficile à mettre en œuvre (le foncier est rare, il est difficilement mobilisable car privé) et la concurrence avec le logement est féroce.