Face à la gronde des agriculteurs, Marc Fesneau remet son projet de loi sur le métier

L'agitation du monde agricole en Europe contre les taxes et les normes environnementales gagne à présent la France, conduisant le ministre de l'Agriculture à reporter la présentation de son projet de loi initialement prévue cette semaine afin d'y ajouter un volet "simplification". L'exécutif craint en outre que le mouvement ne s'étende aux pêcheurs interdits de sortie dans le golfe de Gascogne pour préserver dauphins et marsouins. Les présidents de région montent au créneau et les départements demandent à pouvoir réinvestir "l'économie de proximité".

Quelques jours après ses voeux au monde agricole, le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau est rattrapé par la colère des paysans qui gagne la France. La présentation du projet de loi "renouvellement des générations en agriculture" prévue pour le 24 janvier est finalement reportée de "quelques semaines", a annoncé le ministre, dimanche (ce qui renverrait au prochain Salon de l'agriculture, dans un mois), avec pour objectif d'être débattu au Parlement "au premier semestre 2024". Il sera complété pour permettre une "simplification" du mille-feuille de réglementations imposées à la profession, a-t-il dit. Ce texte en préparation depuis plus d'un an vise en priorité à répondre au défi démographique qui s'annonce, avec le départ à la retraite d'un tiers des agriculteurs dans la décennie à venir.

Un peu partout en Europe, des Pays-Bas à la Roumanie en passant par la Pologne ou l'Allemagne (où des milliers de tracteurs ont bloqué la capitale la semaine dernière), les agriculteurs multiplient les actions pour protester contre la hausse progressive du gazole non routier (GNR)  et le Pacte vert européen qui impose de nouvelles normes environnementales à travers les stratégies "De la ferme à la fourchette" et "Biodiversité", dans un contexte de concurrence internationale exacerbée avec l'exonération des droits de douane sur les produits venus d'Ukraine et l'entrée en vigueur prochaine de l'accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande. En France, après plusieurs actions sporadiques depuis la rentrée et le geste symbolique consistant à retourner les panneaux d'entrées de ville, le ton est monté d'un cran en fin de semaine dernière. Depuis jeudi soir, plusieurs dizaines d'exploitants bloquent l'autoroute A64, qui relie Toulouse à Bayonne, à hauteur de Carbonne, en Haute-Garonne. Alors que l'exécutif craint une contagion comparable aux gilets jaunes, Gabriel Attal a reçu le président de la FNSEA Arnaud Rousseau ce lundi. Dépassé par sa base, ce dernier avait annoncé un peu plus tôt sur France inter que des actions seraient menées "dès aujourd'hui et toute la semaine et aussi longtemps qu'il sera nécessaire" et ce dans chaque département.

Crainte d'un nouveau front avec les pêcheurs

A l'approche du scrutin européen du 9 juin, le monde politique se montre aux petits oignons. "Je porterai vos revendications à Paris et à Bruxelles, au nom des miens", a déclaré la présidente de la région Occitanie et de Régions de France Carole Delga après avoir échangé avec les manifestants samedi, estimant leur colère "légitime" tout en leur demandant de rester pacifiques. "Vous travaillez pour une agriculture familiale et de qualité pour les consommateurs et avez fourni d’énormes efforts pour répondre aux normes de plus en plus nombreuses (…). La situation de misère est inadmissible, vos revenus en Occitanie sont parmi les plus faibles de France. Vous devez être reconnus et soutenus", a-t-elle déclaré.

Départements de France a aussi tenu, lundi, à exprimer "tout son soutien" aux agriculteurs, dénonçant le "manque d'appuis" des pouvoirs publics. L'occasion de revendiquer le rôle de "collectivité-ressource". Au moment où l'on reparle de décentralisation, l'association en profite pour demander une remise à plat de la loi Notre ayant privé les départements de la capacité d'aider les entreprises. Plusieurs départements se seraient vu signifier par les services de l'Etat l'impossibilité de poursuivre leurs co-financements des Mesures agroenvironnementales et Climatiques (MAEC). "Le Département devrait pouvoir réinvestir plus simplement le champ de l’économie de proximité, notamment en retrouvant la possibilité de soutenir directement les producteurs", affirme le président de Département de France, François Sauvadet, qui pointe "une véritable absence de vision de long terme pour l’agriculture française". 

Au ministère de l'Agriculture, on craint également qu'un nouveau front ne s'ouvre du côté des pêcheurs, interdits de sortie dans tout le golfe de Gascogne à compter de ce lundi jusqu’au 20 février inclus, afin d’éviter que des dauphins et marsouins ne soient capturés accidentellement. Décision prise par le Conseil d'Etat pour tous les bateaux de huit mètres ou plus équipés de certains types de filets, soit environ 450 bateaux maintenus à quai du Finistère au Pays basque où les marins craignent pour leurs emplois. Loïg Chesnais-Girard, président de la région Bretagne et président de la commission "Agriculture, alimentation, forêt, pêche" de Régions de France a écrit au Premier ministre pour lui demander "d’agir avec responsabilité, pragmatisme et rapidité en compensant les pertes financières des entreprises de pêche dont les navires et les hommes seront à quai pendant cette période". Cette décision va "très lourdement impacter l’ensemble des entreprises de pêche et de l’aval de la filière, déjà durement éprouvées par le Brexit, le plan de sortie de la flotte, l’envolée des prix du gasoil, la baisse des ventes liée à l’inflation, le resserrement des contraintes règlementaires et, plus récemment la réduction des quotas", fait valoir le président de région, dans un communiqué, lundi.