Déserts pharmaceutiques : les conditions d'implantation des officines en question

Le nombre de pharmacies diminue fortement en France depuis plusieurs années, avec des disparités territoriales. Un sujet d'inquiétude pour le Parlement rural français réuni à Albi le 26 avril 2024, dans le sillage d'une proposition de loi adoptée par le Sénat le 11 avril.

Entre 2007 et 2023, la France a perdu 4.000 pharmacies et 1.800 entre 2012 et 2022 alors qu'elle gagnait 3,7% d'habitants. Leur nombre est passé en 2023 sous la barre des 20.000. Et l'érosion s'accélère : 236 fermetures en 2023 contre 171 en 2022. Une dégradation pointée dans une proposition de loi sénatoriale sur "l'accès aux pharmacies dans les communes rurales", adoptée en première lectrure, le 11 avril. Réuni à Albi le 26 avril, pour sa troisième session territoriale (voir notre article du 29 avril), le Parlement rural n'a pas manqué d'évoquer le sujet, sachant que les territoires ruraux sont les plus touchés. D'après les chiffres de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), 5.000 communes en France n'ont qu'une seule pharmacie, et parmi elles, 4.000 sont des communes rurales de moins de 2.500 habitants. Ces fermetures ont "deux inconvénients majeurs dans ces territoires : il n'y a alors plus un accès facile aux médicaments, mais c'est aussi dissuasif pour les autres professionnels de santé", a déploré le président de ce parlement Bernard Delcros, par ailleurs sénateur du Cantal. Ce qui renvoie à "la question de l'égalité de l'accès aux soins", "un sujet majeur" pour le Parlement. "Cela impacte directement l'espérance de vie des ruraux, qui est inférieure de plus de deux ans à celle d'un habitant de l'hyperurbain. C'est un sujet déterminant", a-t-il dit, s'appuyant sur une étude de l'Association des maires ruraux de France (AMRF) datant de 2022 (voir notre article du 30 septembre 2022).

Des critères non adaptés au rural

Or, quand une pharmacie ferme, il n'est plus possible d'en ouvrir une n'importe où. Des critères sont à respecter, qui ne sont pas adaptés au rural, estime Bernard Delcros.

Le code de la santé publique fixe les seuils selon lesquels une pharmacie peut être ouverte dans une commune. L'implantation d'une officine est ainsi autorisée si le nombre d'habitants est supérieur ou égal à 2.500. Dans une commune comprise entre 2.500 et 30.000 habitants, l'ouverture d'une pharmacie supplémentaire est possible par tranche supplémentaire de 4.500 habitants. Et par exception, une officine peut être implantée dans une commune de moins de 2.500 habitants selon plusieurs conditions : la dernière pharmacie en place a cessé définitivement son activité et elle desservait une population continue d'au moins 2.500 habitants. Ces critères "ne concernent pas la surface du territoire mais le nombre d'habitants ! S'il compte moins de 2.500 habitants, il ne peut pas y avoir d'ouverture, s'est indigné Bernard Delcros, il y a un sujet, il faut qu'on fasse évoluer cette règle".

Un décret d'application qui se fait attendre

Une ordonnance du 3 janvier 2018 relative à l'adaptation des conditions de création, transfert, regroupement et cession des officines de pharmacie devait permettre de déroger à l'unique critère de seuil de population résidente de la commune d'implantation (voir notre article du 5 janvier 2018). Mais plus de six ans après, le décret nécessaire à son application n'a toujours pas été pris.

D'autres dispositions ont été initiées comme celle prévue dans le cadre de la loi du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique. Cette loi dite Asap autorise à titre expérimental la création d'une antenne d'officine par un ou plusieurs pharmaciens titulaires, d'une commune limitrophe, lorsque la dernière officine de la commune d'accueil a cessé son activité, l'approvisionnement en médicaments et produits pharmaceutiques de la population y étant compromis. Mais plus de trois ans après la promulgation de la loi, aucune antenne n'a encore été créée sur le fondement de cette expérimentation.

Enfin, la loi Valletoux du 27 décembre 2023 prévoit d'autoriser une officine à reprendre une pharmacie limitrophe sur le point de disparaître sans avoir à la racheter. Les horaires en seraient restreints. Des expérimentations ont lieu dans certains territoires sur cette base.

30 minutes ou plus de trajet pour se rendre dans une pharmacie

Résultat, à l'heure actuelle, les grandes villes restent surdotées en pharmacies, tandis que dans certains territoires ruraux, les habitants sont contraints de se déplacer à des kilomètres de chez eux pour trouver leurs médicaments. La FSPF estime ainsi que 3 à 5% de la population française vit aujourd'hui dans des territoires considérés comme fragiles au regard de leur offre pharmaceutique : des patients effectuent 30 minutes de trajet ou plus pour se rendre dans une officine.

C'est ce qui a amené les sénatrices Maryse Carrère (Hautes-Pyrénées, RDSE) et Guylène Pantel (Lozère, RDSE) à déposer leur proposition de loi. Adopté en première lecture par le Sénat le 11 avril 2024, le texte prévoyait initialement de modifier les critères de droit commun d'ouverture des pharmacies. Les professionnels du secteur ont insisté pour attendre l'application des dispositions déjà prévues, à savoir le décret d'application de l'ordonnance de 2018. Les sénateurs ont alors décidé de contraindre le gouvernement, via un amendement, à appliquer ces dispositions. L'amendement adopté réécrit l'article unique de la proposition de loi pour rendre ces dispositions directement applicables au 1er octobre 2024 dans le cas où le gouvernement persisterait à attendre.

Des pharmacies en milieu rural qui restent rentables

Au-delà de leur implantation en milieu rural, c'est la question de la rentabilité de ces pharmacies qui se pose. Or, d'après un rapport de la mission de régulation des produits de santé, commandé par Elisabeth Borne alors Première ministre et remis en août 2023, les pharmacies rurales restent rentables. La mission y constate même une rentabilité plus élevée qu'en zone dense. "Une hypothèse plausible serait qu'en zone rurale, lorsqu'une officine ferme, les patients restants se tournent vers d'autres officines qui bénéficient d'un pouvoir de marché plus important et peuvent augmenter le prix des médicaments non réglementés, ce qui contribue à une rentabilité plus élevée", estime ainsi la mission. A l'inverse, dans les villes plus denses, la concurrence fait baisser les prix.

Mais les nouvelles missions qui leur sont confiées, peu rémunérées, mettraient en risque leur modèle économique. Depuis fin 2023, avec l'arrêté du 28 novembre paru au Journal officiel du 30 novembre, les pharmacies sont désormais autorisées à effectuer des tests urinaires pour détecter des cystites. Elles sont aussi autorisées à effectuer des tests rapides d'orientation diagnostique (Trod) des angines. Les professionnels du secteur se félicitent de ces nouvelles missions utiles pour les habitants mais ils appellent toutefois à revaloriser leurs tarifs jugés insuffisants. Les Trod sont aujourd'hui payés 6 euros, contre 25 euros quand ils sont effectués chez le médecin.

Dans une tribune  publiée le 15 avril 2024 dans Le Monde, et soutenue par plus de 3.500 pharmaciens, Hélène Roy, pharmacienne à Dijon alerte aussi sur le faible revenu des pharmacies en matière de vente de médicaments, dont le prix est réglementé. Par exemple, pour des lancettes de glycémie (qui servent au contrôle du taux de glycémie), le bénéfice s'élève à 49 centimes seulement... Et le souhait du gouvernement de libéraliser le marché des médicaments, via les plateformes en ligne notamment, risque encore de mettre en péril la rentabilité de ces pharmacies installées en milieu rural.